Études de lexicologie arabe

2.2. L’ingestion des liquides

 

 

2.2.1. La soif

 

On peut boire sans soif. C’est probablement la raison pour laquelle, comme la faim vue plus haut, la soif n’est guère présente dans les racines de notre corpus. Nous n’avons en effet relevé que

 

مجر maǧara avoir soif

نجر naǧara être pris d'un violent accès de soif

 

 

2.2.2. Boissons et récipients

 

Nos étymons sont repérables

 

– dans quelques noms de boissons :

 

جرلğrlجريال ğiryāl vin

جشرğšrجاشريّة ğāširiyya coup qu'on boit avant l'aurore (du vin ou du lait)

 

علقilq vin vieux

قبلة qubla philtre, breuvage à l’aide duquel une femme cherche à se concilier l’amour d’un homme

قلس qalasa boire beaucoup de vin fait de dattes

قيل qayl, قيول qayūl toute boisson (lait ou vin) que l’on prend à midi 

 

– dans plusieurs noms de récipients :

 

جردل ǧardal seau métallique (Reig)

جرّة ǧarra jarre 

جرمزǧrmzجرموز ǧurmūz pièce d’eau, abreuvoir aux bords un peu élevés

جرن ǧurn grande auge, bassin en pierre ou en bois ; urne, vasque

جرهدة ǧarhada pot à eau

جورğwr جاير ǧāyir grand seau 

حجرḥǧrحنجور ḥunǧūr flacon pour les aromates avec lesquels on lave le corps des morts

حرجة ḥurğa petit seau

حشرج ḥašraǧ flacon mince

رجلrǧlمرجل mirǧal grand chaudronمرجّل muraǧǧal petite outre

مجر mǧrماجور māǧūr vase en terre

هجرhǧrهجير haǧīr grande coupe à boire ; grand abreuvoir

 

حلقة ḥalqa vase vidé

حوقلة ḥawqala bouteille à goulot long et étroit

علق √‛lqمعلق mi‛laq petit vase dans lequel on trait du lait

قلد qild coupe à boire

قلسqlsقلوسات qulūsāt coupes à boire

قلّة qulla cruche en terre (racine non ambigüe)

قمعل qum‛ul, قمعول qum‛ūl coupe à boire en bois à gros ventre

لقوة laqwa, liqwa grande cruche, grand seau, pot à eau 

 

– et aussi dans quelques noms désignant soit un reste de liquide au fond d’un vase, soit de l’eau stagnante dans un creux ou au fond d’un trou :

 

ثجرṯǧrثجير ṯaǧīr sédiment, marc, restes de plantes, de dattes, etc. dont on a exprimé le suc

رجرجة riǧriǧa reste d’eau boueuse au fond d’une citerne 

زرجzrǧزرجون zarǧūn eau de pluie qui demeure stagnante dans un creux

 

بلثقblṯqبلثوق bulṯūq eau stagnante qui s’étend sur un sol plat, mare d’eau

حقلة ḥaqla reste d’eau ou de lait

صلقṣlqصلاقة ṣulāqa eau stagnante et remplie d’ordures de bestiaux

فلق falaq reste de lait au fond d’un vase

قتلqtlقتال qatāl reste, reliquat

قلت qalt grand trou dans une montagne rempli d’eau stagnante

قلّة qulla creux dans la montagne où l’eau de pluie demeure stagnante 

 

 

2.2.3. L’absorption

 

Depuis la première tétée, l’absorption de liquides prend diverses formes. On les trouvera presque toutes représentées dans notre liste :

 

جخر ǧaḫira boire ayant faim et le ventre vide

جرجر ǧarǧara avaler, boire en faisant glouglou 

جرجم ğarğama boire

جرع ǧara‛a boire par gorgées, absorber – جرعة ǧur‛a gorgée

جرعب ǧar‛aba boire

رجل raǧala téter sa mère à son aise

سجر saǧara verser (de l’eau) dans le gosier, l’y faire descendre

غمجر ġamǧara humer, boire (l’eau) à petits traits et sans discontinuer

مجر maǧira avoir le ventre rempli d'eau (sans avoir étanché sa soif) – IV. introduire du lait dans la bouche de qqn

وجرwǧr – V. avaler un médicament ; boire qqch à contre-cœur 

 

فلقح falqaḥa avaler, boire ou manger tout ce qui se trouve dans un vase

قبل qabal premier coup que l’on boit

قلز qalaza boire dans un trou, humer l’eau qui est dans un trou

مقل maqala faire boire un petit dans le creux de la main

ملق malaqa téter sa mère

 

Rappelons ici notre deuxième remarque faite au début de ce chapitre : “Ce n’est pas seulement de la nourriture solide qui passe par la gorge, c’est peut-être même plus souvent du liquide, une boisson. On voit par là que la rubrique 5 du DRS – « La notion de couler » – n’est en fait que l’opération effectuée par la boisson absorbée par la bouche, passant ensuite par la gorge et coulant enfin dans le tube digestif jusqu’à l’estomac. La métaphore se chargera, nous le verrons aussi, d’adapter cette action à d’autres liquides et canaux d’écoulement.”

 

Dans un article de 1991 que nous avons souvent cité dans d’autres études(1), Michel Masson faisait de l’acte de boire un terme affixe du terme central couler. On aura compris que, pour notre part, nous faisons ici de la boisson un terme connexe de la notion de gorge et de (faire) couler une généralisation de boire.

 

Place donc à tout ce qui, comme une boisson dans la gorge, coule, arrose, remplit, inonde et abonde.

 

– cours d’eau, ruisseau, canal, pluie, ...

 

ثعجر ṯa‛ǧara verser, répandre

جربǧrbجريب ǧarīb grand cours d’eau qui reçoit des affluents

جرّǧrr جارور ǧārūr cours d’eau, ruisseau 

جرى ǧarā couler ; pénétrer qqpart en coulant – جرية ǧirya cours d’eau, de sang, de larmes, etc. – مجرًى maǧran canal 

جعفر ǧa‛far ruisseau

جورǧwr – V. couler – جور ǧiwar pluie accompagnée du bruit du tonnerre 

رجع raǧ‛ cours d’eau

رجلة riǧla cours d’eau qui descend d’un rocher dans la plaine

شرجšrǧشريجان šarīǧāni deux filets, l’un de lait, l’autre de sang, qui coulent du pis d’une chamelle

فجر faǧara donner une issue à l’eau et la faire couler 

 

حلقḥlqحلوق الأرض ḥulūq al-’arḍ endroits où l’eau coule ou a coulé

دلق dalaqa couler

قلد qalada recueillir un liquide dans un réservoir ; arroser les céréales

قلس qalasa saigner (plaie)

نقلnqlنقيل naqīl torrent qui vient d’un lieu où il est tombé beaucoup d’eau

 

– trop couler ; déborder, affluer, inonder ; la mer et ses vagues

 

ثجرṯǧr – VII. déborder et se répandre

ثعجرṯ‛ǧrمثعنجر muṯ‛anǧar haute mer, pleine mer – مثعنجر muṯ‛anǧir qui coule à grands flots

جخرǧḫr – V. crever, être rompu de manière à laisser s’écouler l’eau au dehors (abreuvoir, bassin)

جرف ǧurf torrent, courant d’eau qui emporte la terre

رتجrtǧ – IV. se gonfler de vagues et emporter tout ce qui se trouve sur son passage (inondation) ; tomber continuellement en masse (neige)

رعجr‛ǧ – VIII. être rempli (se dit du lit d'un torrent)

سجر saǧara remplir (le lit du fleuve) d'eau – ساجر sāǧir lit d'un fleuve, ou lieu que l'eau remplit en y affluant – سجرة suǧra eau qui remplit le lit d'un cours d'eau

غمجر ġamǧara remplir, inonder (se dit d’une pluie abondante qui remplit un jardin)

 

ذلقḏlq – IV. faire sortir un lézard de son trou en l’inondant d’eau

عقل √‛qlعاقولāqūl pleine mer, les vagues de la mer

قيلqyl – V. affluer et s’amasser sur un point (eau) 

 

– abondance d’eau(2) , de lait ou de végétation aux conséquences positives :

 

برجسbrǧsبرجيس birǧīs chamelle qui donne beaucoup de lait

جأر ǧa’r abondant, copieux (pluie)

جرف ǧarf pâturage abondant, riche

جفرǧfrجفار ǧifār chamelles qui donnent du lait en abondance

جورǧwr جوار ǧawār eau qui se trouve en abondance 

حضجر ḥaḍğara remplir un vase

رتجrtǧمرتج murtaǧ couvert d’une riche végétation

رهجrhǧ – IV. laisser tomber une pluie abondante (se dit du ciel)

شجرšǧr – IV. se couvrir d’arbres, de plantes

 

حلق ḥalaqa remplir la citerne d’eau – II. se gonfler de lait, être rebondi (pis d’une femelle) – حلقة ḥalqa abondance d’eau dans une citerne à peu près remplie jusqu’aux bords – حلقة ḥalqa vase vidé

فقل fql – IV. se couvrir d’une végétation luxuriante

قلد qalada recueillir (l’eau, le lait, le vin) dans un vase ou un réservoir

قلمّس qalammas qui abonde en eau (puits)

 

NB : Dans certaines racines – dont حلقḥlq ci-dessus –, on trouve à la fois les notions de remplir et de vider. On ne s’en étonnera pas et on ne cherchera pas une savante explication par l’énantiosémie : ce phénomène s’explique tout simplement par le fait que, pour remplir un récipient, on en vide forcément un autre. C’est un cas similaire à celui du mot français hôte qui a les deux sens de “celui qui reçoit” et de “celui qui est reçu”.

 

– Généralisation de l’abondance : grande affluence de toutes sortes de choses, richesses, gens et animaux, foule, troupe, troupeau, nuée, ...

 

gens

 

ثجرة ṯuǧra troupe d’hommes séparés des autres

جربّة ǧarabba troupe d’hommes

جرجرǧrǧr جرجور ǧurǧūr foule, troupe nombreuse 

جرّة ǧirra troupe d’hommes, peuplade, tribu qui émigre ou change d’habitation – جرّار ǧarrār armée nombreuse, qui traîne à sa suite des hommes de service et des bagages 

جمر ǧamara se réunir, se rassembler (peuple) – جمار ǧamār tout le peuple – جمرة ǧumra grande tribu d’environ mille cavaliers ; troupe de mille cavaliers

جمعرǧm‛rجمعور ǧum‛ūr foule, multitude

جمهرǧmhrجمهور ǧumhūr multitude, peuple, populace ; troupe nombreuse, nuée ; armée

جهراء ǧahrā’ foule, cohue

حرجلḥrǧlحراجلة ḥarāǧila troupe de cavaliers

حرجمḥrǧm – III. إحرنجمiḥranǧama se presser en foule et s’entasser les uns sur les autres – محرنجم muḥranǧam multitude

رجرجة riǧriǧa troupe nombreuse d’hommes engagés dans un combat – رجراج raǧrāǧ nombreuse troupe d’hommes armés 

رجنrǧnرجّانة raǧǧāna troupe d’hommes chargés d’armes et de bagages – رجينة raǧīna troupe, bande

عرجلةarğala nombreuse troupe d’hommes à pied

مجر maǧr armée nombreuse

 

NB : Il est clair que dans les cinq racines ci-dessus dans lesquelles sont présentes à la fois les consonnes ǧ, r et m, ces racines s’analysent comme résultant du croisement des étymons {ǧ,r} et {ǧ,m} réunir, rassembler.

 

حلقة ḥalqa troupe nombreuse d’hommes

خلق ḫalq, ḫalaq peuple, gens

علقulaq (pl. de علقةulqa) grand nombre, foule

فلقflqفيلق faylaq corps d’armée au-dessus de cinq mille hommes

قفلqfl – IV. rassembler, réunir plusieurs personnes pour traiter une affaire – قفل qufl, قافلة qāfila troupe de voyageurs, caravane

قلد qild troupe d’hommes

قلّة qulla foule d’hommes, grand attroupement – pl. قلل qulal foule qui s’est formée par l’arrivée simultanée d’hommes de toutes parts

قمل qamila être très nombreux, pulluler (population)

قوليّة qawliyya foule, cohue 

 

animaux

 

جربّة ǧarabba troupeau d’ânes – جرنبة ǧaranba troupeau d’ânes

جرثمǧrṯmجرثومة ǧurṯūma fourmilière

حرجة ḥaraǧa troupeau de chameaux

حرجلة ḥarǧala troupeau (de chevaux) ; nuée de sauterelles

رجل riǧl nuée de sauterelles

عجرمةaǧrama troupeau de chameau de cinquante à deux cents

عرجarǧ, ‛irǧ troupeau de chameau de quatre-vingts à cent cinquante, de cinq cents à mille

 

حلق ḥilq nombreux troupeau de bétail

قصل qiṣl troupeau de chameau (par ex. de dix à quarante) – قصلة qaṣla troupeau de chameaux ou de brebis ou de chèvres – قصلة qiṣla troupeau de chameaux (entre trente et quarante)

 

richesses

 

رعج ra‛iǧa être innombrable (richesse, troupeau)(3)

فجر faǧar opulence, richesses

 

sans précision

 

جعثر ǧa‛ṯara réunir, rassembler (les objets dispersés)

شجر šaǧira abonder, être nombreux

شرج šaraǧa ramasser, rassembler

قلفqlfأقلفaqlaf fécond, abondant

 

 

NB : En complément à cette sous-partie dédiée à l’acte de boire, on pourra lire notre étude Sorbet et moucharabieh dans laquelle nous étudions la polysémie de la racine شربšrb. On y retrouvera des dérivés de racines ambigües communes aux deux corpus comme برج bariǧa, جرعب ğar‛aba et جريب ğarīb, racines que nous pouvons maintenant analyser comme résultant du croisement des étymons {ǧ,r} et {b,r}

 

 

Notes

 

1. Michel Masson, 1991, « Quelques parallélismes sémantiques en relation avec la notion de couler », in Semitic Studies in honor of Wolf Leslau, p. 1024-1041, Wiesbaden, Otto Harrassowitz.

2. Le français abondant vient du latin abundans « débordant », lui-même dérivé de unda « eau ».

3. Cf. l’anglais cattle “troupeau” et le nom masculin français capital, du latin médiéval capitale “biens que l’on possède”.

2.3. De l’ingestion à la gestation

 

 

Nous ne pouvons clôre ce chapitre sans traiter, même brièvement d’un emploi métaphorique un peu particulier de l’ensemble du processus alimentaire, à savoir l’activité sexuelle et de reproduction. Cet emploi n’est pourtant pas pour nous surprendre car nous le connaissons aussi en français, et il nous vient du latin. Ne parle-t-on pas de l’“appétit” sexuel ? D’un homme “gourmand de femmes” ? De la “grossesse” d’une femme enceinte ? C’est la même racine latine qu’on retrouve à la fois dans gesto, -as “porter un enfant, être enceinte” et dans digero, -is “répartir les aliments dans l’organisme, digérer”, ingero, -is “porter dans, introduire, ingérer”, et egeries “excrément”.

 

En arabe, nous avons rencontré plus haut جراف ǧurāf, جاروف ǧārūf "gourmand (de mets et de femmes)" qui était un premier indice. Mais il y a plus. Qu’on en juge :

 

rut du mâle et chaleur de la femelle

 

حلقḥlqحلاق ḥulāq cet état de la femelle quand elle ne conçoit pas après le coït, sans cesser d’être en chaleur // حلق ḥalq gosier, gorge

زلق zaliq qui a l’écoulement du sperme avant le coït // زلق zalaqa raser (la tête)

صلقṣlqصلقات ṣalaqāt dents qui claquent chez un mâle en rut, quand il gince des dents // صليق ṣalīq uni et lisse

علق √‛lqعولق ‛awlaq chienne en chaleur // faim

قفل qafala être en rut // قفلة qafla occiput, derrière de la tête

قلج qalğ mâle agité par un violent penchant sexuel // قلج qalaǧa arracher

 

couvrir une femelle, copuler

 

رجل raǧala couvrir une femelle // téter sa mère à son aise

فجر faǧara se livrer à la fornication // donner une issue à l’eau et la faire couler

نجر naǧara cohabiter avec une femme // être pris d'un violent accès de soif

نرجnrǧنورج nawraǧa et نيرج nayraǧa cohabiter avec une femme // نيرج nayraǧ rapide (marche, course)

هرج haraǧa et نهرج nahraǧa cohabiter avec une femme // هرج haraǧa tomber dans l’anarchie

 

دوقل dawqala cohabiter avec une femme // happer et avaler qqch

سلق salaqa, سلقا salqā cohabiter avec une femme // سلق salaqa ôter, enlever la viande de dessus l’os

شقل šaqala avoir commerce charnel avec une femme // peser (des pièces de monnaie)

شلق šalaqa avoir commerce charnel avec une fille // شلّاق šallāq sac à provisions

صلق ṣalaqa renverser une femme pour avoir commerce charnel avec elle // صليق ṣalīq uni et lisse

قلخ  قلخ qalaḫ qalaḫ mots répétés dont on se sert pendant que le chameau mâle couvre la femelle // قلخ qalaḫa arracher, déraciner

قلعف qal‛afa – IV. إقلعفّ ’iqla‛affa couvrir la femelle (chameau) // être ridé, ratatiné, contracté

لزقlzqلزاق lizāq coït, copulation // لزيق lazīq camarade inséparable

ملق malaqa cohabiter avec une femme ; saillir une jument // téter sa mère

 

sperme, concevoir, retenir du mâle, être fécondée

 

علقaliqa concevoir, retenir d’un mâle – علّاقةallāqa sperme // عولق ‛awlaq faim

لقح laqiḥa être fécondée (femelle) – لقاح liqāḥ sperme d’un mâle qui féconde // VIII. enfler, se gonfler

لقوة laqwa, liqwa qui conçoit ou est fécondée promptement (femme, femelle) // grande cruche, grand seau, pot à eau

لقيlqy – V. concevoir, retenir du mâle // IV. ôter qqch de sa place

 

être grosse, enceinte, fœtus

 

جرّ ǧarra porter le fœtus au-delà du temps ordinaire // جرّة ǧirra aliment en rumination

رتجrtǧ – IV. être pleine, porter un fœtus // مرتج murtaǧ couvert d’une riche végétation

مجر maǧira avoir dans le ventre un fœtus très grand // مجرن miǧran gourmand, glouton

 

ثقل ṯaqula – V. être grosse, enceinte // III. se nourrir de mets lourds

علقaliqa devenir grosse, enceinte – علقalaq femme enceinte // عولق ‛awlaq faim

 

avorter

 

مرجmrǧ – IV. avorter, jeter dehors son fœtus par avortement // مرج maraǧa lâcher au paturage

زلقzlq – IV. avorter d’un fœtus quand il est déjà couvert de poils // زلق zalaqa raser (la tête)

 

mettre bas

 

رجّrǧǧ – IV. être sur le point de mettre bas // رجّ raǧǧa agiter, secouer

فرجfrǧفارج fāriǧ qui vient de mettre bas un fœtus, et qui a de la répugnance pour l’étalon // فرج faraǧ nudité des parties honteuses

مجر maǧr fœtus à naître // مجرن miǧran gourmand, glouton

 

طلق ṭalq accouchement, délivrance (d’une femme enceinte) // طلق ṭalaqa être renvoyé, lâché, mis en liberté (se dit d’une chamelle qu’on laisse paître librement)

 

NB : Tous les items “sexuels” n’ayant pas de correspondant “alimentaire”, nous avons dû les mettre en parallèle avec des données figurant dans les chapitres suivants.

 

 

En complément sur ce sujet, on pourra lire notre étude Cohabiter avec une femme(1) dans laquelle nous nous limitons sémantiquement au seul accouplement mais en recensant toutes les formes du lexique. Au vu de la présente étude, il serait d’ailleurs intéressant de vérifier si le parallélisme digestion // gestation que nous avons relevé ici pour les deux étymons {ǧ,r} et {q,l} s’applique aussi à d’autres étymons, notamment aux plus productifs de la précédente étude. Affaire à suivre, donc.

 

 

Notes

 

1. Jean-Claude ROLLAND, « Cohabiter avec une femme : le vocabulaire de l’acte sexuel en arabe classique d’après les données du dictionnaire de Kazimirski », dans Langues et littératures du monde arabe, LLMA nº 11, 2017.

Chapitre 3. La fonction vocale de la gorge

 

 

Après ce long parcours dans l’appareil digestif, passons à la deuxième grande fonction de la gorge, une fonction plus aérienne, sa fonction vocale, à commencer par les « bruits produits par la gorge, la bouche », selon la formulation du DRS, rubrique nº 2 de la séquence GR-. Nous ferons deux remarques à propos de cette formulation :

– Ces « bruits produits par la gorge, la bouche » relèvent bien d’une fonction de ces organes, une fonction qui a autant d’importance que celle que nous venons de voir. On comprend mal que le DRS en ait fait une rubrique à part, alors qu’il a associé la fonction ingestive à la gorge. Le double sémantisme avaler - crier d’une racine non ambigüe comme جرجرǧrǧr, par exemple, est poutant révélateur.

– Ces « bruits produits par la gorge, la bouche », cela s’appelle des cris et ces cris donnent lieu à deux extensions : les bruits qui leur ressemblent, comme celui du tonnerre, et le langage articulé auquel les cris ont abouti une fois passée l’étape des onomatopées.

 

Le chapitre 4 de l’ouvrage de Bohas et Saguer(1) est lui aussi – sous l’intitulé La matrice {[dorsal],[pharyngal/laryngal]} “Produire un bruit guttural” (animal ou humain) – consacré aux sons produits par la gorge. Nous partageons donc avec le corpus de ce chapitre celles de nos racines ambigües dont la troisième radicale est une pharyngale ou une laryngale, comme جرضǧrḍ, جرهǧrh, صلقṣlq, etc. Et nous partageons forcément aussi une partie de l’arborescence sémantique révélée par les auteurs.

 

Quant au chapitre 2 du même ouvrage, il s’intitule La matrice {[+approximant, +latéral],[+continu]} “La langue”. Nous avons déjà vérifié que la langue, organe concerné au premier chef par l’expression orale mais aussi par la fonction ingestive, peut être considéré comme faisant au moins partiellement partie de la gorge. Le seul phonème ayant à la fois les traits [+approximant] et [+latéral] étant le l, nous partageons donc avec le corpus de ce chapitre celles de nos racines ambigües dont la troisième radicale est un q, comme ذلقḏlq, لعقl‛q, لزقlzq, etc. Et nous partageons forcément aussi une grande partie de l’arborescence sémantique révélée par les auteurs.

 

Nous nous garderons bien de tirer la moindre conclusion théorique de ces deux rencontres mais nous ne pouvions les passer sous silence. Peut-être sera-t-on un jour en mesure de faire la synthèse de nos travaux respectifs. En attendant, nous nous contenterons d’analyser leurs racines communes comme résultant d’un croisement d’étymons.

 

 

3.1. Les cris et les bruits

 

Le cri est l’expression vocale propre aux animaux :

 

جأر ǧa’ara mugir, braire

جرجرǧrǧr جراجر ǧurāǧir qui crie, mugit (chameau)

جرضǧrḍجراض ǧurāḍ plein d’affection, de tendresse (se dit surtout d’une chamelle qui témoigne sa tendresse pour son petit par une voix sourde qui part du gosier)

حشرج ḥašrağa braire (âne)

رجبrğbراجبة rāğiba au pl., veines du canal de la voix chez les animaux

رجس raǧasa mugir (chameau)

رجعrǧ‛a– II. répéter le son, la voix au fond du gosier (animaux)

زمجر zamǧara gronder (se dit du lion) – زمجرة zimǧara voix du lion qui gronde

سجر saǧara pousser un cri perçant et prolongé (se dit d'une chamelle, quand elle témoigne par sa voix sa tendresse pour son petit)

ضجر ḍağira mugir, beugler (se dit d'une chamelle pendant qu'on la trait)

 

قلج qalaǧa mugir en répétant plusieurs fois la gamme (chameau)

قلخ qalaḫa mugir (chameau)

 

Les êtres humains sont souvent placés devant la nécessité d’user eux aussi de cette forme d’expression primitive et basique pour communiquer avec un animal, que ce soit pour l’appeler ou pour l’éloigner, lui faire peur, le menacer, ou pour exprimer leur propre peur, leur colère, etc. On retrouvera donc ici certains verbes utilisés plus haut pour les cris d’animaux :

 

جأر ǧa’ara crier vers qqn

جربǧrbجربّانة ǧiribbāna femme criarde et dévergondée

جرجر ǧarǧara crier, vociférer avec colère

جرم ǧirm cri

جرهǧrhجراهية ǧarāhiya cris, clameurs, vociférations

جشرة ğušra aspérité de la voix, enrouement et toux

جهر ǧahara proférer un cri, faire entendre une voix – جهر ǧahura avoir une voix sonore, retentissante – III. crier à qqn

جور ǧiwar qui a une voix forte, retentissante

حرجḥrğ – II. crier la vente à l’encan

حشرج ḥašrağa râler (mourant)

زجر zaǧara faire partir, chasser par des cris ou en jetant des cailloux

زمجرzmǧr – II. faire entendre une voix – زمجر zimǧar cris – زمجرة zimǧara cris confus

عجرّدaǧarrad criard, braillard

هرجhrǧ – II. crier haro! à une bête féroce ou fauve pour lui faire peur

 

سلق salaqa crier, pousser un cri – سالقة sāliqa femme qui pousse des cris et qui se frappe la figure – سلقة silqa femme criarde et dévergondée

صلق ṣalaqa pousser un grand cri

صلقع ṣalqa‛a élever la voix

قلزمة qalzama cri

 

NB : Pour faire peur aux oiseaux et les éloigner des cultures, l’épouvantail peut remplacer avantageusement les cris ou les cailloux :

 

جدرǧdrمجدار miǧdār épouvantail qu’on dresse dans les blés pour en éloigner des animaux

 

Dès la plus haute Antiquité et probablement sur l’ensemble des terres habitées, le bruit du tonnerre fut perçu comme un grondement émanant d’un être surnaturel, poussé par une sorte de gros lion imaginaire ou de gros chameau en colère. La langue a conservé la trace de cette croyance :

 

جرجرǧrǧr جرجار ǧarǧār bruit du tonnerre

جور ǧiwar pluie accompagnée du bruit du tonnerre

رجزrǧz – V. produire un fracas, tonner (se dit du tonnerre)

رجس raǧasa tonner (tonnerre)

رجف raǧafa retentir dans le sein du nuage par des coups redoublés (tonnerre)

زمجر zamǧara gronder (se dit du tonnerre) – II. faire entendre un bruit – زمجر zimǧar vacarme, grand bruit – زمجرة zimǧara bruit tumultueux

 

Par perte du sème “venu de la gorge”, un certain nombre de racines ont été appliquées aux bruits les plus divers :

 

جرس ǧarasa produire un léger bruit, un murmure – جرس ǧaras cloche, clochette, sonnette

جرم ǧirm bruit, son

خجرḫǧrخاجر ḫāǧir bruit de l’eau au pied d’une montagne

رهجة rahǧa tumulte, émeute

زرج zarǧ bruit produit par un grand troupeau de chevaux

زنجر zanǧara claquer, produire un claquement avec le pouce et le doigt du milieu (Chez les Arabes, c’est un signe de menace.)

عنجرanǧara faire du bruit avec les lèvres en les allongeant et en les faisant claquer

وجر waǧr bruit – أوجرawǧar tumulte (d’une armée, etc.) (DRS)

 

سلقم salqama faire claquer des dents

صلق ṣalaqa produire un grand bruit – VIII. grincer, claquer des dents

صلقعṣlq‛ – صلنقع ṣalanqa‛ grand bruit

صلقم ṣalqama claquer, grincer des dents

قلزمة qalzama bruit

قلقل qalqala produire un bruit

لقلق laqlaqa produire un claquement (cigogne) ; agiter qqch de manière qu’on entende le bruit

لقم laqimaتلقّم talaqqum glouglou, bruit de l’eau

نقلة naqala bruit du torrent qui descend une pente

 

NB : On aura remarqué la présence en arabe comme en français des mêmes phonèmes g et r associés non seulement dans les désignations de la gorge et l’expression de sa fonction ingestive mais également dans les onomatopées du grondement, du grincement et du rugissement. On aura également remarqué le même phénomène quant aux phonèmes q/k et l dans l’onomatopée du claquement. Rien de surprenant à celà, les êtres humains ayant partout des gorges et des oreilles qui ont les mêmes formes et les mêmes fonctions.

 

 

3.2. Le langage articulé

 

Que ce soit pour parler, lire à haute voix, déclarer, raconter, converser, prononcer un discours, réciter ou chanter, donner un ordre, encourager, le langage articulé est l’expression vocale propre aux humains :

 

جرس ǧarasa parler – IV. chanter, fredonner

جرم ǧarama porter, exciter qqn à faire qqch

جرهǧrh – II. déclarer, manifester, divulguer, rendre public

جمهر ǧamhara rapporter un message en gros

جهر ǧahara parler à haute voix ; révéler, publier, divulguer – III. parler à qqn ou lire tout haut, à haute voix

درجdrǧ – X. parler, prononcer des paroles – دارج dāriǧ parlé (langue)

رجع raǧa‛a – III. s’entretenir avec qqn

رجل raǧala – VIII. parler sans préparation, improviser un vers, réciter de mémoire(2)

 

سلقslqسلّاق sallāq qui a de la faconde, éloquent

صلقṣlqصلّاق ṣallāq éloquent

عملقamlaqa faire un discours préparé

قبلqbl – VIII. prononcer un discours, improviser

قلخ qalaḫ ! قلخ qalaḫ ! mots répétés dont on se sert pendant que le chameau mâle couvre la femelle

قلس qalasa chanter avec art

قول qawl parole, mot – قال qāla dire

لزقlzqلزّيقى luzzayqā charme, attrait dans le discours qui attire et attache les auditeurs

نقل naqala raconter

 

NB : À propos de قولqwl, on remarquera que la plupart des autres très usuelles racines arabes du langage – كلم √klm, لهج √lhğ, لفظ √lfẓ et لغو √lġw – comportent toutes un l et une dorsale. Ce n’est évidemment pas un hasard.

 

Le langage n’est pas toujours utilisé avec mesure ou à bon escient ; il est parfois excessif, parfois blessant ou indécent, dur, nuisible :

 

أرجaraǧa exciter, semer la discorde

برجمة barǧama paroles dures ; dureté dans les paroles

جرح ǧaraḥa blesser par des propos ou des paroles offensantes

جردم ǧardama, جرذم ǧarḏama parler beaucoup et avec volubilité

جرز ǧaraza piquer ; médire de qqn

رجفrǧf – IV. exciter, fomenter des troubles

رجم raǧama maudire, accabler de malédictions

عجرفةaǧrafa paroles dures

نفرج nafraǧa être loquace, parler trop

هجرhǧr – IV. se moquer de qqn ; tenir à qqn un langage indécent

 

حلقḥlqحالقة ḥāliqa qui excite les inimitiés et la discorde entre les parents, les proches

ذلق ḏalaqa être bien affilé (langue)

قصلqṣlمقصل miqṣal bien affilée, bien pendue, mordante (langue)

لقص laqiṣ bavard, loquace

لقعlq‛ – V. déblatérer – لقعة luqa‛a bavard et hâbleur

لقلق laqlaq, لقلاق laqlāq bavard

 

... et parfois si confus qu’il trahit une éventuelle sottise du locuteur :

 

جخر ǧaḫir qui a le cerveau dérangé, imbécile

دجر daǧira s’embarrasser, s’embrouiller (en parlant)

ربج rabağa être bête, imbécile

رتج ratiǧa avoir la langue embarrassée et ne pouvoir parler qu’avec peine

رجّrǧǧرجاج raǧāǧ stupide, ignorant

سرجsrǧسرجوج surǧūǧ sot

شمرج šamraǧa brouiller, embrouiller (ses paroles, son discours)

عجرفةaǧrafa sottise, conduite sotte

عجرم √‛ǧrmمعجرم mu‛aǧram embrouillé, embarrassé, entortillé

هبرج habraǧa bredouiller

هجرhǧr – IV. radoter, dire des absurdités, des sottises, battre la campagne

هجرع haǧra‛ sot, stupide

هرج haraǧa être très verbeux, diffus – هرّاجة harrāǧa réunion bruyante d’hommes où tout le monde parle à la fois – هرج hirǧ sot, imbécile

همرج hamraǧa faire du bavardage, dire beaucoup de paroles sans suite, sans ordre et vides de sens – همرجة hamraǧa, همرجان humruǧān vacarme, bruit que font plusieurs hommes parlant à la fois

 

ألق √’lqمئلق mi’laq imbécile, idiot

بهلق bahlaq femme sotte et bavarde

عقلةaqla sorte de lapsus linguae

لعقl‛qلعوق la‛waq sot, stupide

لقطlqṭملقطان malqaṭān sot, stupide

لقعlq‛ – لقّاعة luqqā‛a sot

 

 

3.3. Motivations et conséquences des cris et des mots ; extensions ; généralisations

 

On a vu plus haut qu’une des principales fonctions du cri était pour les uns l’expression de la peur et pour les autres une manière d’infliger de la crainte. Par la relation de cause à effet et par pertes de sèmes successives, cette double fonction va donner lieu à une cascade d’extensions sémantiques et de généralisations.

 

3.3.1. Motivations du cri destiné à faire peur : éloigner, repousser, chasser, empêcher d’approcher, etc.

 

جحر ǧaḥara chasser et faire entrer dans son trou

حجر ḥaǧara empêcher quelqu’un d’approcher, lui interdire l’accès

خرجḫrǧ – IV. chasser, expulser

رجع raǧa‛a éloigner une chose d'une autre

رجم raǧama éloigner, repousser qqn à coups de pierres

شجر šaǧara éloigner, repousser

 

حقلḥqlحوقلة ḥawqala action de repousser, d’éloigner

زلق zalaqa éloigner, ôter qqn de sa place

دقل daqala empêcher qqn d'approcher

لقز laqaza repousser

 

Pour écarter un possible danger, l’opération inverse est aussi efficace, elle consiste à empêcher l’animal ou l’être humain dangereux d’agir, de bouger, en le retenant, en l’attachant s’il le faut :

 

رجّ raǧǧa contenir qqn et l’empêcher de faire qqch

رجس raǧasa retenir qqn et l’empêcher de se livrer à qqch

شجر šaǧara lier, serrer, attacher

عجرaǧara empêcher qqn de faire qqch

مجرmǧrمجار miǧār corde avec laquelle on attache la dernière articulation du pied du chameau plié au haut de la jambe, en sorte que l’animal ne s'appuie plus que sur trois pieds et reste à sa place

هجرhǧrهجير haǧīr empêché, retenu

 

حلق ḥalaqa serrer en tordant avec force (une corde) – حلقة ḥalqa corde

عقلaqala lier, attacher, retenir dans les liens – معقل ma‛qil tout lien qui retient qqn et l’empêche de sortir

 

3.3.2. Conséquences morale de ce cri et réaction physique : la peur et le frisson

 

ثبجرṯbǧrإثبجرّiṯbaǧarra trembler, trembloter de frayeur

رجب raǧaba avoir peur, s’effrayer de qqch – رجب raǧiba craindre

رجّ raǧǧa trembler, tressaillir, frémir

رجدrǧd – II. trembler – IV. être transi de peur, trembler de peur

رجرج raǧraǧa trembler, tressaillir

رجو raǧw crainte, peur

نفرج nifriǧ timide, peureux

وجر waǧira avoir peur de qqch et chercher à s’en garantir

 

– Formes adoucies de la peur et du frisson : l’inquiétude et l’agitation

 

جرج ǧariǧ inquiet, agité

رجه raǧh commotion, agitation

دجر daǧira être stupéfait, interdit, troublé

 

سلقslq – V. être en proie à l’inquiétude et s’agiter sur son lit

شقلب šaqlaba s’agiter, se remuer

قلبqlb – VII. être troublé, dans l’agitation

قلص qalaṣa être dans le trouble, dans l’émotion

قلق qalaq trouble, inquiétude, agitation

قلوqlw – XII. إقلولىiqlawlā être inquiet, agité

 

– Généralisation du tremblement et de l’agitation :

 

جرج ǧariǧ agité, remué

جهر ǧahara agiter l’outre remplie de lait, pour en faire du beurre(3)

درجdrǧدارج dāriǧ tremblant (son de la voix du chanteur)

رجّ raǧǧa agiter, secouer ; être agité, secoué, trembler (se dit aussi de la terre quand elle tremble) – IV. avoir un tressaillement dans les os dans la région de l'utérus (ce qui a lieu chez les juments peu de temps avant la parturition) – VIII. trembler, s'agiter (se dit de la mer, de la terre, des parties grasse du corps qui tremblent quand l'individu marche, etc.)

رجحrğḥ – III. agiter la balançoire pendant que qqn y est assis – VIII. s'agiter en avant et en arrière (se dit d'une bête de somme chargée et marchant d'un pas régulier et serré, pareil au tangage d'un navire) ; s'agiter sur le corps (se dit des chairs grasses d'une personne ou d'une bête en mouvement)

رجرج raǧraǧa être agité, vaciller

رجسrǧs – VIII. être ébranlé et trembler (édifice)

رجز raǧaz maladie des chameaux qui fait que leurs jambes tremblent – رجز riǧz, ruǧz fièvre

رجف raǧafa agiter, remuer ; être agité, secoué violemment ; trembler (se dit de la terre quand la secousse est violente) ; frémir d'impatience (se dit, au pl., des guerriers qui s'ébranlent et se préparent au combat) – راجف rāǧif fièvre accompagnée de tremblements

نورج nawraǧa se remuer, se trémousser, se donner beaucoup de mouvements, se démener en marchant ou en parlant – نيرج nayraǧ remuant, qui est dans un mouvement continuel

رعج ra‛aǧa agiter, ne pas laisser tranquille

رهج rahaǧa être en mouvement oscillatoire, s'agiter (se dit de l'effet causé par une lumière très vive)

 

ذلق ḏaliqa remuer, branler – IV. agiter, secouer, troubler

قلد qild commencement d’un accès de fièvre, du paroxysme ; fièvre quarte

قلقل qalqala remuer, agiter, secouer

لقلقlqlq – II. s’agiter, être agité – ملقلق mulaqlaq mobile, toujours en mouvement (regard, œil)

 

3.3.3. Effet obtenu : la fuite

 

ثبجر ṯabǧaraإثبجرّiṯbaǧarra se sauver, s’enfuir ; reculer d’épouvante ou d’étonnement

جرمز ǧarmaza s’enfuir, se sauver de peur

جعطر ǧa‛ṭara s'enfuir, tourner le dos

جمزر ǧamzara s'éloigner, se sauver

دجرdǧr – III. s’enfuir

زجرzǧr – VII. et VIII. fuir

سهجر sahǧara se mettre à courir comme un homme qui a peur

شمجر šamǧara se sauver, s’enfuir et courir comme celui qui a peur

عجرaǧara s'éloigner rapidement, partir tout à coup (comme un cheval qui est effrayé)

 

– Par perte des sèmes “peur” et “rapidité”. Il ne reste de la fuite que s’en aller, partir, s’éloigner, émigrer

 

جربز ǧarbaza s'éloigner, s'en aller

جردǧrd – VII. s'en aller, partir, s'éloigner

جرمǧrm – II. quitter, laisser là sa tribu pour émigrer

درج daraǧa s’en aller, partir

هجر haǧara rompre avec qqn et s’éloigner

 

قلص qalaṣa emporter ses bagages et décamper

قلعql‛ – IV. larguer les voiles, mettre à la voile, partir

قلقل qalqala s’en aller et courir à travers les pays

قلوqlw – XII. إقلولىiqlawlā s’éloigner d’un lieu, partir

 

3.3.4. Tous les cris n’ont pas pour objectif de faire peur, certains visent simplement à exciter un animal pour qu’il marche plus vite :

 

حرجم ḥarǧama faire marcher, chasser devant soi un troupeau de chameaux

ضرجḍrǧ – II. stimuler sa monture à la marche

نجر naǧara mener vigoureusement, faire marcher devant soi

 

– D’où l’effet obtenu : la rapidité du déplacement, qu’il s’agisse de marcher vite, de courir, de sauter, ou encore la promptitude d’action ou d’exécution. C’est un sémantisme commun à de si nombreuses racines que la longue liste ci-dessous n’est probablement pas exhaustive :

 

جرش ǧaraša courir doucement

جرهدǧrhdإجرهدّiǧrahadda se hâter, aller vite

جرهمǧrhmجرهام ǧirhām prompt à agir et qui agit avec vigueur

جرى ǧarā courir

جمرǧmr – IV. marcher avec rapidité ; sauter à pieds joints (cheval qui a des entraves aux pieds)

حرجḥrǧحرجوج ḥurǧūǧ chamelle grande, forte et rapide à la course

حرجل ḥarǧala courir avec rapidité

درج daraǧa faire sauter les uns par-dessus les autres

دهرج dahraǧa marcher avec rapidité

رجل raǧl saut, bond – رجلة raǧla précipitation avec laquelle on marche, pas précipité(4)

رجم raǧama passer rapidement en courant

روجrwǧراج rāǧa courir avec rapidité tout autour

شجرšǧr – VII. devancer, gagner de vitesse

ضرجḍrǧضريج ḍarīǧ rapide et violent (pas de la course)

عجردaǧrad leste, agile ; vif, ardent

عجرف √‛ǧrf – عجروفuǧrūf chamelle très rapide à la course

عجرمaǧrama marcher avec rapidité

عسجر √‛sǧrعيسجورaysaǧūr chameau robuste et rapide à la course

فرجل farǧala marcher rapidement en faisant de grandes enǧambées

نرجnrǧنيرج nayraǧ rapide (marche, course)

هبرج habraǧ pas léger et rapide

هرج haraǧa courir beaucoup, sans cesse

هرجبhrǧbهرجاب hirǧāb rapide à la course (chamelle)

هرجل hurǧul qui marche à grandes enjambées

هردج hardaǧa marcher d’un pas rapide

همرجة hamraǧa agilité, célérité dans les mouvements

همرجل hamarǧal rapide à la course(5)

 

بلق balaqa marcher avec rapidité, presser le pas

حوقلة ḥawqala pas rapide d’un homme qui marche à pas rapprochés et serrés

درقل darqala passer rapidement ; sauter

دلقdlq – V. se précipiter, s’élancer avec impétuosité (vagues) – VII. s’élancer, sortir soudain et se répandre (troupe de cavaliers, torrent)

ذعلقḏ‛lqذعلوق ḏu‛lūq jeune homme prompt à s’emporter

ذلق ḏaliq prompt à la répartie

رقلrql – IV. marcher avec rapidité, se dépêcher

زفقل zafqala marcher avec rapidité

زلقzlqزلوق zalūq rapide à la course (chamelle)

زهلق zihliq rapide à la course ; marche rapide

سلق salaqa courir – سيلق saylaq rapide à la course (chamelle)

صقل ṣuql agile et léger à la course (cheval)

صلقṣlqمصلاق miṣlāq rapide à la course

عسلقaslaq, ‛isliq léger, agile, leste

فلقflqتفيلق tafaylaqa courir avec la plus grande vitesse

فلقط falqaṭa se dépêcher (en marchant ou en parlant)

قذعلqḏ‛lمقذعلّ muqḏa‛ill rapide

قزل qazala sauter, faire un soubresaut

قلز qalaza sauter, faire un saut – V. courir lestement (chamois, gazelles, etc.)

قلص qalaṣa sauter, faire un saut – مقلّص muqalliṣ haut des jambes et agile à la course (cheval)

قلطفة qalṭafa agilité (d’un animal petit et rapide dans ses mouvements)

قلقل qulqul rapide à la course (cheval)

قلهم qalhama se hâter, se dépêcher

قلوqlwقلا qalā faire marcher devant soi, donner une chasse vigoureuse ; partir tout à coup en emportant son cavalier qui n’a pas encore eu le temps de se raffermir sur son siège (chamelle) – XII. إقلولىiqlawlā faire vite, se dépêcher

لحقlḥqملحاق milḥāq chamelle très rapide à la marche

لعقl‛qلعوقة lu‛ūqa agilité, prestesse – لعوق la‛waqa faire vite, se dépêcher en faisant qqch

لقع laqa‛a passer rapidement

لقف laqf agile, prompt

لقمlqm – IV. se mettre de moment en moment à courir (chameau)

لقن laqina comprendre tout promptement

ملق malaqa marcher d’un pas vigoureux – ملق maliq léger et rapide à la course (cheval)

نقل naqala passer rapidement d’un endroit à un autre

هرقل harqala trotter (DRS)

هلق halaqa être rapide à la course

هملق hamlaqa marcher d’un pas rapide

ولق walaqa marcher d’un pas accéléré

 

NB : On voit que la plupart des racines quadriconsonantiques de cette liste sont de claires extensions de racines triconsonantiques. Certaines peuvent même s’analyser comme résultant du croisement de deux racines, par exemple هملقhmlq = هلقhlq + ملقmlq. Les couples ou trios de racines homoconsonantiques sont également à remarquer : جرشǧrš / شجرšǧr, جمرǧmr / رجمrǧm, زلقzlq / قزلqzl / قلزqlz, etc.

 

– Extension de la promptitude : le zèle et l’assiduité (Cf. fr. donner un coup de collier) :

 

جردǧrd – II. se livrer exclusivement et avec zèle à qqch

جرن ǧarana s’appliquer à qqch, y travailler avec assiduité

عرج √‛ – V. se livrer à qqch, s’en donner à cœur joie

 

علق √‛lq – V. se livrer avec assiduité à qqch

قبل qabila poursuivre une chose avec assiduité

قذل qaḏala s’appliquer à qqch

قلدqld – V. s’atteler à (une tâche)

 

 

Il serait assez difficile de croire a priori que tous ces mots et toutes leurs acceptions ont une même origine : un grondement émanant de la gorge d’un mammifère ou un claquement de ses dents. Et pourtant, on l’a vu, il n’y a pas de solution de continuité : certes des formes, des sens, des sèmes se sont évaporés en route mais c’est bien la même eau qui, de cascade en cascade et en s’enrichissant régulièrement d’affluents, a parcouru cet itinéraire depuis sa source.

 

 

 

Notes

 

1. Le son et le sens, pp. 133-161.

2. La parole improvisée étant le propre de l’homme, on est en droit de se demander s’il ne faudrait pas voir là l’origine du sens de رجل raǧul. C’est ainsi que l’homme primitif aurait distingué son semblable des autres primates : “celui qui ne se limite pas à émettre des cris mais qui s’exprime dans un langage articulé, le parleur.”

3. Cf. إبريجibrīǧ “outre à beurre”, cité dans notre étude La tour et les signes du Zodiaque (برجbrǧ).

4. La présence ici de رجلة raǧla n’est pas anodine. Elle pourrait expliquer que la partie du corps la plus impliquée dans l’action de marcher se dise رجل riǧl. On imagine le nombre de dérivations sémantiques et de siècles qu’il aura fallu pour passer ainsi de la gorge au pied... Les racines quadriconsonantiques حرجلḥrǧl, فرجلfrǧl et هرجلhrǧl sont de claires extensions de رجل rǧl.

5. Racine « valise » clairement composée par l’association de همرجhmrǧ avec رجلrǧl.

Chapitre 4. La fonction giratoire du cou

 

 

Sans atteindre les capacités extraordinaires du cou du hibou(1), la fonction de celui des humains et des animaux qui en sont dotés, est bien, en effet, de permettre à leur tête de se mouvoir un peu de tous côtés, de droite à gauche et de haut en bas, quelle que soit la mobilité du reste du corps. Et mouvoir la tête n’a le plus souvent d’autre raison que de vouloir regarder ce qui se passe autour de soi, quelle que soit par ailleurs les capacités de mobilité des yeux. Souvent, une mobilité accrue de la tête compense une faible mobilité des yeux ; c’est le cas du hibou. On voit par là que le regard, quelle que soit sa durée et sa direction, sera lié à la fonction giratoire du cou.

 

Nous laisserons la question du regard pour la fin. Elle est en effet secondaire par rapport au nombreuses dérivations sémantiques engendrées par cette fonction du cou, laquelle va évidemment déboucher sur les actions de tourner ou de rouler, sur les objets ronds ou simplement courbes, etc. Autrement dit, la rubrique nº 3 de la notice GR- du DRS – « La notion de rondeur > rouler, etc. » –, la dernière qu’il nous restait à voir, est elle aussi, mais ici par l’intermédiaire du cou, à rattacher à la gorge. Finalement, du début à la fin de cette notice, on peut dire qu’il n’est question que de la gorge et du cou.

 

Le chapitre 5 de l’ouvrage de Bohas et Saguer(2) – sous l’intitulé La matrice {[labial],[dorsal]} “Courbure, rotondité” – traite aussi de tout ce qui est courbe. Nous partageons donc avec le corpus de ce chapitre celles de nos racines ambigües dont la troisième radicale est une labiale, comme فرجfrǧ, برجbrǧ, etc. Et nous partageons forcément une partie de l’arborescence sémantique révélée par les auteurs.

 

 

A. Les trois mouvements de la tête permis par le cou

 

tourner le cou, la tête, son visage ; se tourner du côté de qqn, vers qqch

 

عجرaǧara tourner le cou, comme pour se tourner du côté de qqn

 

قبلqbl – IV. se tourner et se diriger vers un point ; tourner son visage vers un objet

قلبqlb – VII. se tourner vers qqch

 

La notion de côté : à côté, sur le côté, du côté de ; à droite, à gauche ; le côté qui fait face ; en face

 

جرهة ǧarha côté, flanc

جورǧwr – V. tomber sur le côté

حجرة ḥaǧra, ḥuǧra côté

حرجل ḥarǧala courir tantôt à droite, tantôt à gauche

رجح rağaḥa pencher d’un côté à cause du poids

رجوrǧw رجًا raǧan, رجاء raǧā’ côté, paroi d’un puits

عرجaraǧa – II. prendre à droite ou à gauche pour faire halte – VII. incliner, être incliné, s'incliner d'un côté

 

سلقslqسليق salīq côté du chemin

صقل ṣuql côté – صقال ṣiqāl flancs

قبلqblقبلة qibla côté qui nous fait face

لقطlqṭ – III. être en face, faire face

لقيlqyتلقاءَ tilqā’a du côté de, en face de

 

Extension : se trouver, se tenir ou habiter à côté > la proximité physique et sociale, le voisinage, la parenté

 

جورǧwr – III. être voisin de quelqu'un – VI. et VIII. être voisin, voisins les uns des autres ; être en rapports de bon voisinage – جار ǧār voisin ; maison voisine ; associé dans le commerce ; lié par les liens de patronage et de clientèle ; mari – جارة ǧāra voisine ; femme, épouse – جوار ǧawār voisinage

حجر ḥiǧr parenté, liens du sang ou d’alliance

رجم raǧm compagnon, camarade – رجم raǧam frères

شرج šaraǧa tenir compagnie à qqn dans qqch – شرج šarǧ association

 

عقل √‛qlعاقلāqil héritier le plus proche – عاقلةāqila parents du côté du père

قبلqbl – IV. arriver, approcher – قابل qābil prochain – قبيل qabīl lignée du père ; famille – قبيلة qabīla tribu

قتل qitl compagnon ; cousin germain

لحق laḥiqa rejoindre qqn

 

pencher le cou, la tête ; (se) pencher, (s’)incliner

 

جرعǧr‛ – IV. se pencher, s’incliner

عجرaǧara pencher le cou

 

قتلqtl – V. marcher avec des airs penchés

 

– lever la tête, allonger le cou

 

جردح ǧardaḥa allonger le cou – مجردح muǧardaḥ qui porte la tête haute

 

 

B. Généralisation aux mouvements circulaires

 

tourner sur soi-même autour de son axe

 

جرج ǧariǧ qui tourne (se dit des objets circulaires, comme le cerceau, une bague)

جرجرǧrǧrجرجارة ǧarǧāra moulin

جمعر ǧam‛ara tourner, mouliner – جمعورة ǧum‛ūra disque rond, de bois

نجرnǧrمنجور manǧūr grande poulie à l’aide de laquelle on tire de l’eau du puits – منجورة manǧūra roue hydraulique à irrigations

 

Les noms de pivots et d’articulations

 

برجم burǧum et برجمة burǧuma articulation du milieu d’un doigt ; articulation

جرّǧrrجارور ǧārūr pivot sur lequel la porte tourne

رجبrğbراجبة rāğiba dernière articulation d'un doigt, la plus proche du bout

نجرnǧrنجران naǧrān pièce de bois horizontale du seuil dans le trou de laquelle s'emboite et tourne le pied de la porte (selon la manière dont les portes sont faites en Orient)

 

tourner autour de qqch, en faire le tour ; pourtour, alentour ; former un cercle

 

جدر ǧadara faire élever une muraille autour de quelque chose

جفرة ǧufra pourtour, circonférence

حجر ḥaǧara – II. être entouré du halo (lune) – محجر maḥǧar pourtour, circonférence (d’une ville) – محجر miḥǧar, miḥǧir orbite, cercle de l’œil ; alentour, pays autour d’un bourg – حاجورة ḥāǧūra jeu qui consiste en ce qu’on cherche à attraper la personne qui est au milieu du cercle formé par ceux qui jouent

رجع‛ – V. tourner autour de l'abreuvoir

روجrwǧ راج rāǧa courir avec rapidité tout autour

 

حلق ḥalaqa – II. être entouré d’un cercle (lune) ; marquer une pièce du troupeau d’une marque ciculaire en forme de boucle – V. s’assoir en cercle, former un cercle – حلقة ḥalqa réunion de personnes assises en cercle

 

entourer, (se) ceindre ; ceinture ; panser, bander

 

جبر ǧabara panser, bander

جربǧrbجربان ǧirbān ceinture

شرجšrğشريجة šarīğa ceinture en joncs employée dans les bains

 

حلق ḥalaqa entourer, ceindre

صلقṣlqصولق ṣawlaq ceinture

قلد qalada entourer qqch de fil de fer – V. se ceindre (d’une arme)

 

tournoyer dans les airs ; faire des plis ; serpenter, zigzaguer ; serpents

 

جرز ǧurz pl. أجرازaǧrāz corps du serpent, les replis de son corps

جرنǧrnجارن ǧārin petit de serpent, jeune serpent

عجرaǧira faire des plis

عرج √‛ – V. serpenter, zigzaguer – تعاريج ta‛ārīǧ méandres (d’un fleuve), plissements (de terrain) – منعرج mun‛araǧ détour, coude, sinuosité (d’un fleuve, etc.)

 

بلقblqأبلقablaq serpent

حلقḥlq – II. planer et tournoyer dans les airs

عقل √‛qlعاقولāqūl détour, sinuosité, coude que fait un fleuve ou une vallée

قزلqzlأقزلaqzal sorte de serpent

قلب qulb serpent blanchâtre

 

NB : Nous retrouverons les serpents au début du Chapitre 6.

 

tordre, tresser ; corde

 

حدرج ḥadrağa tordre une corde pour la rendre plus solide

سرج sariǧa tresser les cheveux

سرهج sarhaǧa tordre avec force

عرجدurğud rameau tortu de palmier

عرجنarğanaعرجونurğūn arbre ou rameau desséché et tortu

 

حلق ḥalaqa serrer en tordant avec force (une corde) – حلقة ḥalqa corde

قفعلqf‛l – IV. ’iqfa‛alla être contordu et contracté (main)

قلد qalada tordre (une corde) – قليد qalīd tressé ; cordon, ruban, galon – إقليدiqlīd corde tressée de feuilles de palmier avec laquelle on noue un panier à dattes ; fil de fer ou de cuivre

قلس qals grosse corde tressée, câble de vaisseau

لقي luqiya avoir la bouche tordue par la paralysie

 

retourner, revenir ; reflux, retour

 

جبرǧbr – V. revenir, retourner à qqn qu'on avait quitté

جزر ǧazr reflux

رجع raǧa‛a revenir, retourner, s'en retourner, rentrer

عجرaǧara revenir, rentrer au milieu des siens, au gîte

قفلqfl – IV. ramener qqn, le faire retourner d’un voyage – قفل qafl caravane à son retour

 

retourner qqch ; se retourner ; changer

 

خرجḫrǧخرّاج ḫarrāǧ habile, qui sait se retourner et se tirer d’affaire

رجع raǧa‛a être inconstant et tourner à chaque instant (se dit du vent qu'on ne peut pas déterminer au juste de quel côté il souffle)

رنجح ranğaḥa tourner un mot dans sa bouche, et le changer

روجrwǧراج rāǧa être inconstant et tourner à chaque instant (vent)

نجر naǧr inconstance, fréquents changements

همرّج hamarraǧ qui sait se retourner dans les affaires

 

قلب qalaba tourner, retourner – قلب qaliba être renversé, retourné (lèvre) – قلّب qullab qui sait se retourner, habile dans la conduite des affaires

قلعة qulu‛a instabilité

قلف qalafa tourner, retourner une chose, la mettre à l’envers

نقل naqal changement de personne qui parle

 

détourner, écarter ; se détourner, s'écarter

 

جمر ǧamara détourner (un mal, une mauvaise influence)

جورǧwrجار ǧāra s'écarter de la ligne droite, du but ; aller à côté du but, le manquer

رجع raǧa‛a détourner une chose d'une autre

شجر šaǧara détourner

فرجfrǧ – II. écarter, dissiper (les obstacles, les nuages, les soucis)

فرحج farḥaǧa écarter les jambes en marchant

 

قلب qalaba détourner, tourner qqch du côté de qqn

 

Sens figuré : s’écarter de ce qui est juste et droit ; être injuste ; péché, délit, crime, vice, défaut...

 

جرّǧrrجريرة ǧarīra péché, délit, crime, méfait

جرش ǧarašaجارش ǧāriš injuste, qui agit injustement

جمهر ǧamhara être injuste envers qqn

جورǧwrجار ǧāra être injuste, commettre une injustice à l'égard de quelqu'un (comme juge)

حرج ḥaraǧa commettre un crime, un péché

جرم ǧarama commettre un délit, un crime contre qqn

رجس raǧasa commettre un crime, un péché

فجر faǧara s’écarter de ce qui est juste et droit

 

قذل qaḏala s’écarter de la ligne droite et agir avec injustice – قذل qaḏil vice, défaut

قلبة qalaba défaut, vice

قلزمة qalzama vice, tache ou action qui attire le blâme

 

 

C. Les objets ronds, rouler, etc.

 

rond, sphérique ; objets courbes, ronds, sphériques ou cylindriques

 

جردǧrdجريدة ǧarīda rouleau sur lequel on écrit

دحرجdḥrǧمدحرج mudaḥraǧ rond, arrondi, globuleux

 

حلقḥlq – II. gonfler le ventre, l’arrondir – حلق ḥilq, حلقة ḥalqa bague, anneau

قبلة qabala rond au bas du fuseau

قلدqldمقلد miqlad bâton recourbé en haut avec lequel on tourne ou tortille qqch

قلهبسة qalhabasa rond (tête)

 

rouler, faire rouler, se rouler

 

دحرج daḥraǧa rouler, faire rouler

درج daraǧa rouler, ployer un papier ou une pièce d'étoffe

 

صلقṣlq – V. se rouler tantôt sur le ventre, tantôt sur le dos et pousser des cris

قلد qalada rouler une chose sur une autre

 

 

D. Les mouvements verticaux, sutout de haut en bas, ou alternés

 

– mouvements alternés : se balancer, boiter

 

رجّrǧǧأرجوجةurǧūǧa balançoire, bascule

رجحrğḥرجاحة ruǧāḥa, أرجوحةurǧūḥa balançoire

عرجariǧa boiter

هرجع harǧa‛ boiteux

 

قتلqtl – V. marcher en se balançant

قلز qalaza clocher, boiter

 

pencher, être incliné

 

عرج √‛ – VII. incliner, être incliné, s'incliner d'un côté

رجح rağaḥa pencher d’un côté à cause du poids

 

Sens figuré : penchant, inclination pour > amitié, tendresse

 

جورǧwrجار ǧār ami

دربج darbaǧa devenir doux et docile (bête de somme) ; marcher lentement (chamelle qui ralentit par tendresse pour son petit)

درجب darǧaba avoir de la tendresse pour son petit (chameau)

درجن darǧana s’éprendre de tendresse pour son petit (chamelle)

درمج darmaǧa marcher lentement (chamelle qui craint de s’éloigner de son petit)

سجرsǧr – III. entretenir des rapports d’amitié avec qqn – سجير saǧīr ami sincère et dévoué – شجير šaǧīr compagnon

عرجةarǧa, ‛urǧa penchant, inclination que l’on a pour qqch

 

ذملق ḏamlaqa flatter, cajoler

علقalaq, ‛ilq, علوقulūq attachement, inclination – علوقalūq chamelle qui a de la tendresse pour un petit qui n’est pas à elle ; femme mariée qui a un amant

قتل qitl ami

لحق laḥiqa s’attacher à qqn, en être inséparable

لقس laqasa avoir un penchant pour qqch

 

NB : On nous permettra de penser que les Mu‛allaqāt – المعلّقات – sont ainsi nommées non parce que ces poèmes auraient été suspendus au temple de la Mecque, comme le veut la tradition, mais plutôt parce qu’ils étaient les préférés du public, ceux auxquels le public était le plus attaché. Cela dit, l’un n’empêche pas l’autre.

 

Extension : mettre sur une balance pour peser

 

شقل šaqala peser (des pièces de monnaie)

 

tomber (par excès d’inclinaison ou de poids); tomber sur, fondre sur ; faire tomber, jeter à terre

 

جربز ǧarbaza tomber

جرثمǧrṯm – II. tomber la tête en avant

جرجğrğ – II. faire tomber, faire glisser

جرجم ğarğama renverser, démolir, faire crouler – II. tomber, crouler

جردل ǧardala menacer ruine, menacer de tomber

جرعǧr‛ – IV. tomber

جرعبǧr‛b – IV. tomber, être renversé

جورǧwr – V. tomber, crouler ; tomber sur le côté

دحرج daḥraǧa faire tomber, faire dégringoler de haut en bas

رتجrtğ – IV. tomber continuellement en masse (neige)

رجحrğḥ – XIII. [irǧaḥanna] tomber d’un seul coup

رهجrhǧ – IV. laisser tomber une pluie abondante

ضرجḍrǧ – VII. fondre d’en haut sur sa proie

عجرaǧara fondre sur qqn le sabre à la main

هرجل harǧala marcher d’un pas incertain et chancelant

 

دلق dalaqa sortir, couler, s’échapper, tomber (sabre qui ne tient pas bien dans le fourreau)

زلق zalaqa faire trébucher qqn

سلق salaqa renverser qqn de manière à le faire tomber sur le dos

سلقا salaqā – III. ’islanqā tomber à la renverse

صقل ṣaqala jeter qqn à terre

صلق ṣalaqa tomber sur qqn, une tribu, et en faire un grand carnage

عقلaqala renverser qqn par un croc-en-jambe

قبلqbl – IV. fondre sur qqn

قحلزqḥlz – II. tomber à terre sous le coup qu’on a reçu

قطلqṭl – II. jeter par terre sur le côté

لقص laqiṣ qui se jette à corps perdu dans le vice

لقف laqifa s’ébouler, tomber en ruine

لقيlqy – X. tomber à la renverse ; tomber sur qqn qui est à côté

مقل maqala plonger qqch entièrement dans l’eau

 

Extension 1 : tomber de sommeil, dormir, chambre

 

حجرة ḥuǧra chambre

رجل riǧl somnolent, qui dort toujours

فجرfǧrفاجر fāǧir que l’on passe à dormir (yawm... journée...)

ثقلة ṯaqla somnolence, envie de dormir – ثقيل ṯaqīl vaincu par le sommeil, dormant

قلدqld – XIII. ’iqlawwada s’emparer entièrement de qqn (sommeil)

قيلqylقال qāla faire qqch à midi, notamment dormir – قيلولة qaylūla sieste

 

Extension 2 : tomber mort, mourir ; gisant ; tombe, tombeau

 

جمهر ǧamhara élever un tombeau

حجرة ḥuǧra tombeau

رجم raǧam, رجمة ruǧma tombeau

فرجfrǧمفرج mufraǧ gisant dans les champs, à l’écart des habitations (homme tué)

مرج mariǧa tomber et rester gisant et abandonné par terre

 

حلقḥlqحلاق ḥalāq mort, trépas

علق √‛lqعلاقةalāqa mort, trépas

قلت qalita périr

نقلnql – VIII. passer au séjour éternel, mourir

 

Extension 3 : tomber sur, rencontrer, trouver

 

جرمزǧrmz – II. tomber sur qqn, rencontrer qqn

 

علق √‛lq –IV. trouver, rencontrer quelque objet de prix, un trésor

قبلqbl – VI. se rencontrer et se trouver face à face les uns avec les autres – X. aller au-devant de qqn, aller à sa rencontre

لقطlqṭ – VIII. tomber inopinément sur qqch

لقي laqiya rencontrer qqn ou qqch

 

pendre, pendiller (Cf. fr. un vêtement ou une draperie qui “tombe bien”)

 

رجحrğḥ – IV. pendiller – V. pendiller, être suspendu en l’air et agité

رجفrǧf – IV. avoir les oreilles lâches, pendantes et tremblantes (chamelle)

رجل raǧala lier et suspendre une bête par les pieds

سجرsǧrمسجّر musaǧǧar, مسجور masǧūr pendant, qui descend, qui tombe vers la terre (chevelure, draperie)

 

دقلdqlدوقل dawqala pendre, être pendant

علقaliqa se suspendre, être suspendu

 

 

E. Le regard

 

جحر ǧaḥara plonger, s’enfoncer en cherchant à sonder la profondeur d’un abîme (œil)

جرشم ǧaršama fixer les yeux avec attention sur qqch

عسجرasǧara regarder d’un regard fixe, pour bien voir

فرجfrǧ – V. se promener, flâner et regarder tout

وجرwǧrأوجرawǧar très circonspect et méticuleux

 

حدقل ḥadqala tourner, promener les yeux, les pupilles des yeux (comme fait celui qui regarde les yeux en coulisse)

حملق ḥamlaqa ouvrir ses grands yeux et regarder un objet les yeux fixes

زلقzlq – IV. regarder qqn d’un regard farouche, avec colère

قفلqfl – IV. suivre qqn des yeux

لمق lamaqa regarder qqn, jeter un regard sur qqn ; fixer qn de ses yeux

مقل maqala regarder, fixer qqn des yeux

 

 

Nous ne pouvons clore ce chapitre sans faire observer, une fois de plus, de curieuses coïncidences entre le sémitique et l’indo-européen. Le lecteur aura certainement remarqué que la séquence GR se retrouve en effet dans le mot giratoire qui qualifie la fonction du cou étudiée ici. Or giratoire est – comme l’italien giro – issu du grec γῦρος [gûros] « cercle, rond », d’origine incertaine pour ne pas dire inconnue. Et le synonyme le plus usuel de γῦρος [gûros], c’est κύκλος [kúklos], ancêtre de nos cycle et cylindre et dans lequel on retrouve cette fois-ci la séquence QL. La racine indo-européennne de κύκλος [kúklos] est connue ; c’est *kwel- « tourner, cercle ». Outre κύκλος [kúklos], on rattache à cette racine le latin collum « cou », le grec πόλος [pólos] « pivot », l’anglais wheel « roue », etc. On est en droit de se demander s’il ne s’agit vraiment que de simples « coïncidences ».

 

Les défenseurs du nostratique ne se le demandent plus : cette dernière rencontre se trouve en effet dans le Dictionnaire de nostratique de Dolgopolsky sous le nº 1053, qui se contente pour l’arabe de la racine قلبqlb : nous savons maintenant que c’est l’étymon {q,l} qu’il faudrait y mettre plutôt qu’un seul de ses probables dérivés. En revanche, s’il y a bien quelques mots sémitiques sous le nº 658, on n’y trouve encore ni le grec γῦρος [gûros] ni aucun de nos dérivés arabes de l’étymon {ǧ,r} dont ce serait apparemment la place. Un vide à combler ?

 

 

 

Notes

 

1. La tête du hibou a une capacité de rotation de 270º. Ce qui compense la faiblesse de rotation de ses yeux, cylindriques et non sphériques.

2. Le son et le sens, pp. 163-219. Voir aussi de Bohas, L’illusion de l’arbiraire du signe, chapitres 3 et 4. La réflexion de Bohas sur la courbure n’ayant cessé d’évoluer depuis la parution de Le son et le sens, nous renvoyons le lecteur à ce qu’il publiera sur le sujet après la date de publication de la présente étude (janvier 2019).

Chapitre 5. La fonction vitale de la gorge et du cou

 

 

Nous approchons de la fin de cette étude en ayant rattaché à la rubrique nº 1 de la notice GR du DRS toutes les autres rubriques. Mais nous n’en avons pas pour autant terminé avec la gorge et le cou. Tous les égorgeurs, étrangleurs et autres coupeurs de tête savent depuis la nuit des temps qu’intervenir violemment sur la gorge d’un être vivant en la serrant ou en la tranchant ou même en lui tordant le cou, c’est mettre immédiatement fin à sa vie, le tuer, que l’action ait lieu ou non dans un coupe-gorge. Même si ces actions pourraient, en dernière analyse, être rattachées à la saisie de la nourriture végétale ou animale (voir Chapitre 2. La fonction ingestive), nous avons préféré leur faire ici la place à part que cette partie du corps semble justifier.

 

NB : Parmi les matrices phoniques étudiées par Bohas, au moins trois ont l’action de porter un coup comme invariant sémantique. On retrouvera donc certainement ici ou dans le Chapitre 2 des racines appartenant par un autre étymon à l’un ou l’autre des corpus propres à ces matrices. On en conclura, au moins provisoirement, que ces racines peuvent s’analyser comme résultant du croisement de deux étymons ayant respectivement les charges sémantiques de 1. porter un coup et 2. gorge / cou.

 

 

A. étrangler, étouffer, noyer > suffoquer

 

جئر ǧa’ira être suffoqué à force de crier

جرّة ǧarra, ǧurra piège en bois avec un coulant à l’aide duquel on prend les gazelles

جرض ǧaraḍa étrangler, étouffer – جرض ǧariḍa étouffer, être suffoqué par l'abondance de la salive, étant oppressé ou en proie à un grand chagrin

جرط ǧaraṭa être suffoqué par un morceau qu’on mange

 

علقaliqa être pris dans les lacets

قلدqld – IV. envelopper qqn de ses flots et le noyer (mer)

 

NB : Les pièges dont il est ici question se caractérisent par l’utilisation de lacets enserrant le cou de l’animal. Nous trouverons d’autres sortes de pièges dans le prochain chapitre.

 

Sens figuré : opprimer, forcer, contraindre, être dur avec qqn > être oppressé

 

بجر buǧr méchanceté

برجمة barǧama paroles dures ; dureté dans les paroles

جأّرǧ’rجائر ǧā’ir angoisse, serrement de cœur

جبر ǧabara forcer, contraindre – جبّار ǧabbār homme violent, tyran

جحرمة ğaḥrama méchanceté

جرذǧrḏ – IV. forcer, contraindre à qqch

جرض ǧariḍa étouffer, être suffoqué par l'abondance de la salive, étant oppressé ou en proie à un grand chagrin

جزرǧzrجزّار ǧazzār tyran

جعطريّ ǧa‛ṭariyy dur, inhumain

جمهر ǧamhara être dur envers qqn

جورǧwrجار ǧāra opprimer qqn, agir en tyran – جوريّ ǧawriyy oppressif, despotique, tyrannique(1)

حجرḥğr – V. être dur envers qqn

حرج ḥarağa éprouver un serrement, une angoisse (se dit du cœur, de la poitrine) – IV. réduire à la gêne, à la misère ; forcer qqn à chercher refuge chez un autre

ربجrbğرباجيّ rabāğiyy homme dur, inhumain, barbare

ضجر ḍağira être oppressé, être dans l'angoisse, éprouver de l'ennui

عجرف √‛ğrf – II. traiter qqn avec dureté, être dur, inhumain, et imposer à qqn des travaux pénibles, ou le charger d'une affaire désagréable

عسجرةasǧara méchanceté, mauvais caractère ; bassesse, caractère ignoble

وجرwǧr – IV. contraindre à (DRS)

 

بلق balaqa violer, forcer une fille

ثقل √ṯql – IV. opprimer qqn

حلقḥlqحالوقة ḥālūqa sévère, dur (homme)

عسلقaslaq, ‛isliq méchant

علقilq méchant, mauvais homme, suppôt du diable

قلزqlzقلزّ qilizz, quluzz très dur et inhumain

هقلّس haqallas méchant de caractère

 

NB : Sous plusieurs racines, dont جورǧwr et جمهرǧmhr, la plupart des dictionnaires associent l’oppression et la tyrannie à l’injustice (voir Chapitre 4. La fonction articulatoire). C’est à notre avis une erreur de donner ainsi à entendre que ces notions sont plus ou moins synonymes, quand bien même elles seraient exprimées en arabe par un même mot ; s’il est vrai que la tyrannie implique forcément l’injustice, on ne peut pas dire que l’injustice implique forcément la tyrannie.

 

 

B. blesser au cou, à la gorge ; égorger, couper la tête

 

جدر ǧadara avoir au cou une blessure faite par un animal, et le cou enflé

جزر ǧazara égorger (une bête)

حنجر ḥanğara égorger

 

حلق ḥalaqa blesser à la gorge

حلقم ḥalqama couper la gorge à qqn

سلقع salqa‛a frapper sur le cou

علق √‛lqمعلوق ma‛lūq celui chez qui une sangsue est suspendue à la gorge

قتل qatl peine capitale, surtout par la décapitation

قصل qaṣala couper le cou – مقصلة miqṣala guillotine

قطل qaṭala couper (le cou)

 

Généralisation : piquer, percer, blesser, tuer

 

جدرة ǧadara cicatrice (Reig)

جرح ǧaraḥa blesser qqn, lui faire une plaie

جرّǧrr – IV. porter un coup de lance

جرز ǧaraza piquer – جرزة ǧaraza perte, ruine ; extermination

جزر ǧazar homme tué (sur le champ de bataille)

رجل raǧala blesser qqn au pied(2)

رجم raǧama tuer, assassiner

شجر šağara percer avec une lance

فرج faraǧa pourfendre – فرج farǧ coupe-gorge, lieu dangereux

هرج haraǧa tuer

 

سلق salaqa, سلقا salqā frapper, percer qqn avec une lance

قتل qatala tuer – قتيل qatīl tué (homme) – قتيلة qatīla victime (homme ou femme)

قلب qalaba frapper qqn au cœur

قلسqlsقلّاسة qallāsa vigoureux coup de lance

قلف qalafa circoncire (un garçon)

قولqwl قال qāla tuer qqn

لقع laqa‛a piquer (serpent)

ولق walaqa porter à qqn un léger coup de sabre ou de lance

 

Sens affaibli : frapper

 

رجل raǧala toucher, frapper qqn au pied

نجر naǧara donner à qqn une chiquenaude

 

دقل daqala frapper qqn sur quelque partie de la tête

شلق šalaqa frapper avec un fouet

صقل ṣaqala frapper avec un bâton

صلق ṣalaqa frapper qqn avec un bâton

علقةulqa volée de coups de bâton

قذل qaḏala frapper sur la tête

قلخqlḫ – II. frapper qqn fortement avec un fouet

قلز qalaza frapper

قلمع qalma‛a porter un coup sur la tête et jeter en bas

قليqlyقلى qalā frapper qqn à la tête

لقز laqaza donner un coup de poing sur la poitrine

لقّ laqqa frapper l'œil avec la main

لمق lamaqa frapper l’œil de qqn avec la paume de la main

لوقlwqلاق lāqa porter avec la main un coup dans l’œil

ملق malaqa frapper qqn avec un bâton

 

 

C. Extensions de percer : poindre > briller > zénith > haut

 

Si le sabre et le couteau tranchent, les autres armes blanches, qu’elles soient dague, épée, flèche ou lance, percent. Par la même métaphore en arabe qu’en français, le soleil perce puis brille à l’aurore à l’horizon ou en plein jour à travers un nuage, le jour point et les choses peu à peu sortent de l’ombre, apparaissent :

 

برج bariğa devenir apparent, manifeste, visible(3)

جشر ğašara percer, poindre et briller (aurore)

جهرǧhr – VI. paraître au grand jour

خرج ḫaraǧa sortir

عجرaǧara sortir, apparaître, se montrer

فجرfǧr – V et VII. percer, poindre et apparaître (aurore)

 

بلقعblq‛ – II. briller, paraître (aurore)

جلق ğalaqa faire voir, faire briller qqch en ôtant le voile

ذلق ḏaliqa luire

سلقعslq‛ – III. briller dans les nuages

فلق falaq aurore

 

Généralisation : midi , éclair

 

Quand il s’agit de briller, c’est à midi que le soleil donne le maximum de lui-même, autrement dit quand il est au zénith. Dans le ciel, le soleil n’a pas le privilège de la brillance, les étoiles aussi brillent, mais la nuit, et aussi les éclairs à toute heure du jour ou de la nuit. Enfin, par la même métaphore qu’en français, brille, est brillant, tout ce qui a de l’éclat :

 

جحر ǧaḥara s’élever au zénith, à l’apogée (soleil)

جشرğšrجاشريّة ğāširiyya midi, heure de midi

رجلrǧl – V. s’élever, être avancé (jour)

رعج ra‛aǧa briller continuellement (éclairs)

سرج sariǧa briller, lancer des éclairs

ضرجḍrǧ – V. se montrer dans tout l’éclat de ses atours ; se répandre (éclat des éclairs)

عرج √‛عريجاءurayǧā’ midi, heure de midi

هجرhǧrهاجرة hāǧira heure de midi, où la chaleur est le plus intense

 

ألق √’lq – V. briller

برقل barqala faire des éclairs de chaleur

بلقblq – VIII. briller, luire

حلقḥlq – II. être au plus haut du ciel (étoile)

خلق ḫulq dans nawmat al-ḫulq méridienne, sieste qu’on fait sur le midi

عقلaqala être vertical (ombre à midi)

قيلqyl قال qāla faire qqch à midi, notamment boire ou dormir – قيلولة qaylūla sieste

 

Extension : la montée du soleil dans le ciel de l’aurore à midi a engendré tout un champ sémantique de la percée en hauteur, c’est la métaphore de tout ce qui s’élève, monte, pousse (en parlant des dents et des plantes), grandit, enfle, bout, mousse, écume, tout ce qui finit par être haut, pointu :

 

برج bariğa être haut, élevé

جدر ǧadara s’élever au-dessus du sol (plantes qui commencent à couvrir le sol)

درج dariǧa monter par degrés

سجرsǧr – II. au passif se gonfler (mer agitée)

عجرaǧara pousser

عرجaraǧa monter, s’élever à l’aide d’une échelle

 

بقل baqala pousser, paraître (dent de chameau) ; produire des herbes (terre) ; croître et commencer à avoir des feuilles

ذلق ḏaliqa être pointu, terminer en pointe

رقلrqlراقل rāqil haut, grand, d’une grande taille

سلق salaqa bouillir, faire bouillir – V. se hisser au haut du mur – سلّاق sullāq Ascension

قلجqlǧ – II. grandir (plante)

قلسqlsقلنسوة qalansuwa bonnet pointu, mitre

قلص qalaṣa s’élever, être haut (eau dans un puits)

قلف qalafa mousser, écumer

قلّqll – IV. hausser, hisser, faire monter

قلوqlw – XII. إقلولىiqlawlā voltiger très haut dans les airs ; percher au sommet d’un arbre

 

NB : L’indépendance dont nous parle maintenant quasi exclusivement la forme X de قلّqll est l’élévation au pouvoir du souverain, non du peuple. Il faut en effet savoir qu’en arabe classique, avant d’avoir ce sens, cette forme a d’abord eu – sur le thème de la hauteur – les sens suivants, donnés dans cet ordre par Kazimirski :

1. hisser sur ses épaules ou sur sa tête et porter (par ex. une cruche)

2. être haut, sublime, bien haut au-dessus de nos têtes (en parlant de la voûte des cieux)

3. grandir (plantes)

4. s’élever très haut dans les airs (oiseau)

5. s’enorgueillir, s’élever au-dessus de ses semblables

6. se rétablir et se lever (malade)

 

Extensions : les saillies du corps : bosse, hernie, tumeur, pustule, enflure, sommet de la tête

 

بجر bağira avoir la hernie ombilicale

جرذ ǧaraḏa se fermer et former comme une excroissance (plaie, ulcère)

عجرaǧar, عجرةuǧra saillie, protubérance

عجرم √‛ǧrmمعجرم mu‛aǧram bosse du chameau

 

سلقslqسلاق salāq tumeur, enflure

قصلqṣlقصيلّة qiṣyalla qui a une tumeur au nombril, ou une hernie ombilicale قلطqlṭقليط qalīṭ qui a une hernie ou une tumeur au scrotum

قليqlyقلىً qulan sommets des têtes des hommes

قيلqyl قيلة qayla hernie

 

... les saillies de la terre : sommet, colline, montagne

 

جرداح ǧirdāḥ collines

جرعة ǧaru‛a monticule de sable

حجر ḥaǧr colline sablonneuse – حاجر ḥāǧir plateau élevé et renfoncé au milieu

 

حلقḥlqحالق ḥāliq montagne élevée

عقلaqala monter bien haut sur la montagne (chamois) – معقل ma‛qil montagne très haute

قبل qabal colline élevée qui nous fait face, versant ou sommet d’une montagne qui est devant nous

قعلq‛lقاعلة qā‛ila sommet d’une montagne ; montagne longue et roide – قوعل qaw‛ala être juché au haut d’une colline

قلعql‛ – قلاعة qulā‛a rocher isolé dans la plaine

قلّة qulla sommet, cime (d’une montagne) ; colline

قليqly قلىً qulan sommets, cimes des montagnes

لقح laqaḥ montagne

لقيlqyملقًى malqan endroit au haut d’un rocher où l’on voit un chamois perché

وقل waqala monter sur une montagne, la gravir

  

... et enfin celles de la société des hommes : élite, seigneur, roi, chef

 

جرثمǧrṯmجرثوم ǧurṯūm seigneur, chef

 

عقل √‛ql – عقيلة ‛aqīla chef d’une tribu, d’une famille

قبلqblقبيل qabīl chef d’une tribu

قلدqild – مقلّد muqallad chef (d’une tribu)

قلمسqlmsقلمّس qalammas chef puissant

قولqwl – VIII. exercer sur qqn une autorité, être son supérieur ou son souverain – قيل qayl roi (chez les Himyarites)

مقلة muqla choix, élite

هلقم hilqam chef qui a grand soin des siens et veille à leurs affaires

 

 

 

 Notes

 

1. Ce mot (avec ce sens) ne figure que dans le dictionnaire de Daniel Reig.

2. On a vu plus haut (Chapitre 3. La fonction vocale de la gorge) comment un mot de cette racine en est probablement venu à désigner le pied, au point que ce sens prime maintenant sur tous les autres.

3. Cf. notre étude La tour et les signes du Zodiaque.

Chapitre 6. Les métaphores de la gorge et du cou

 

 

A. D’après le long cou de certains animaux

 

Les animaux et les plantes ont souvent été désignés par ce qui pouvait être considéré comme leur principale caractéristique. On ne sera donc pas surpris de trouver dans notre corpus des noms désignant le serpent et l’anguille et d’autres animaux dotés d’un long cou. Au point qu’un même terme – قلوص qalūṣ – a pu être attribué à trois animaux aussi différents que la chamelle, l’autruche et l'outarde :

 

بلرجblrǧبلارج balāriǧ cigogne

جرّيّ ǧirriyy anguille

جرفǧrfجورف ǧawraf autruche mâle

جرنǧrnجارن ǧārin petit de serpent, jeune serpent

حبرج ḥubruǧ outarde

 

بلقblqأبلق ’ablaq serpent

سلقع salqa‛ autruche mâle

عسلقaslaq, ‛isliq autruche

قزلqzlأقزلaqzal sorte de serpent

قلب qulb serpent blanchâtre

قلسqlsأنقليسanqalīs anguille(1)

قلصqlṣقلوص qalūṣ jeune chamelle ; autruche femelle ; petit d'outarde

قلعة qala‛a grande chamelle

لقلق laqlaq, لقلاق laqlāq cigogne

هقل haql, هقلة haqla jeune autruche – هيقل hayqal autruche mâle

 

Pour ne pas alourdir cette étude, nous nous sommes gardé d’y citer trop de vocables construits sur des étymons différents des deux qui nous ont servi de lignes de conduite, mais sachant que les phonèmes l et n ont en commun avec r le trait phonétique [+sonant], nous ne saurions passer ici sous silence ni جمل ǧamal (étymon {ǧ,l}) ni ناقة nāqa (étymon {q,n}).(2)

 

On constate également dans notre corpus la présence de termes désignant des objets naturels ou fabriqués dont la forme cylindrique a pu évoquer un cou plutôt allongé comme celui des animaux que nous venons de citer. C’est le cas de tige, étui, fourreau, carquois, flacon, et même chaussette et jambe de pantalon, acception qui nous permet de vérifier que la racine رجلrǧl ne se limite pas à désigner le pied :

 

جربǧrbجورب ǧawrab bas ou chaussettes – جربان ǧirbān et جربّان ǧurubbān fourreau de sabre

جشرğšrجشير ğašīr carquois de cuir

جفرğfrجفير ğafīr carquois

جورğwr – IV. mettre, serrer les outils, des objets dans un sac ou un étui

حشرج ḥašraǧ flacon mince

رجل riǧl jambe de pantalon, de caleçon

رمجrmğرماج ramāğ parties comprises entre les nœuds de la tige d’un roseau

شجرة šaǧara tige, tronc ; plante à tige ; arbuste ; arbre

عجر √‛ǧrعنجورةunǧūra étui à flacon

 

حقلḥqlحوقلة ḥawqala bouteille à goulot long et étroit

قلج qalğ roseau

قلم qalam roseau taillé pour écrire, kalem – مقلمة miqlama et قلمدان qalamdān étui à plumes, à kalems – مقالم maqālim nœuds, nodosités du roseau employé comme bois de lance

لحقlḥqلحاق liḥāq étui à arc

لقطlqṭملقاط milqāṭ roseau à écrire

 

NB : La tradition voit dans قلم qalam un emprunt, par l’intermédiaire de l’araméen, au grec κάλαμος [kálamos] "roseau, roseau pour écrire". Cette étude nous amène à en douter, mais si c’est exact, on constate que le mot et ses dérivés n’ont eu aucune peine à s’acclimater.

 

 

B. D’après l'étroitesse de la gorge

 

Comme il en va du français avec nos gorges et cols, les mots حنجر ḥanğar ou حنجرة ḥanğara – nous l’avons vu plus haut – désignent également une gorge de montagne(3). On ne sera donc pas surpris de trouver dans notre corpus toute une série de termes désignant d’autres passages naturels plutôt étroits comme les défilés, lits de torrents, vallées, crevasses, fissures, ou dus au travail de l’homme comme le sillon tracé par le laboureur, la ruelle creusée par le chasseur, le vestibule, le cabinet et la cellule :

 

جربǧrbجريب ǧarīb vallée

جرّǧrrجرّارة ǧarrāra terrain encaissé

حجرة ḥaǧra vestibule – حجرة ḥuǧra cabinet, cellule

حرج ḥaraǧ défilé, passage étroit

رتجrtǧمرتج martaǧ col, défilé, passage

رجلة riǧla lit d’un torrent

شرج šarǧ fente, crevasse par où l’eau descend d’un rocher

فجرة fuǧra lit d’un torrent

فرج farǧ fente, fissure, crevasse

وجرة waǧra ruelle que l’on creuse exprès et qui aboutit à une fosse pour prendre les bêtes féroces

 

سلق silq lit d’un cours d’eau

فلق falq crevasse – فلق falaq terrain encaissé entre deux montagnes

قفلqflقفيل qafīl défilé, chemin étroit à travers les montagnes

قلّيّة qilliyya cellule de moine, cabinet

لقّ laqq fente, crevasse ; sillon – لققة laqaqa sillon

 

Généralisation 1 : fendre, creuser dans le sens de la longueur

 

جورǧwr – II. creuser, faire un creux – جوّار ǧawwār laboureur

ضرج ḍarağa fendre

 

شلق šalaqa fendre dans le sens de la longueur

 

Généralisation 2 : étroitesse, exigüité, contraction, diminution, petitesse

 

جربز ǧarbaza se contracter

جرثمǧrṯm – II. se contracter

جرمز ǧarmaza se contracter – جرموز ǧurmūz petite maison

حرج ḥaraǧa être serré – حرج ḥaraǧ espace étroit

جزر ǧazara tomber, baisser, décroître (eau, surtout de la marée)

ضجر ḍağr étroit (lieu)

 

قلص qalaṣa être réduit, diminué, se contracter

قلعفql‛f – IV. ’iqla‛affa être ridé, ratatiné, contracté

قلّqll – IV. diminuer, amoindrir – قلّة qilla exigüité

لقص laqiṣa être étroit

 

Sens figuré : étroitesse morale, avarice

 

جحرمة ğaḥrama étroitesse

شرج šaraǧa fermer une bourse en serrant les cordons

 

قلزم qalzama – II. mourir par suite de son avarice

قلّqll – IV. donner peu

 

Extension : un passage étroit est enclin à se boucher naturellement ou facilite sa fermeture :

 

جرّة ǧarra, ǧurra piège en bois à l’aide duquel on prend les gazelles

جرف ǧurf pierre, digue en pierre

رتج rataǧa fermer, barrer, barricader (une porte)

رجبة ruǧba piège à l’aide duquel on prend les bêtes, surtout les loups, en y attachant un morceau de viande qui fait tomber la trappe

رجّ raǧǧa faire, bâtir (une porte)

شجرšǧrشجار šiǧār morceau de bois servant de verrou

عجرaǧara boucher, fermer (l’orifice, etc.)

 

بلق balaqa fermer la porte – بلق balq porte, portière ; rideau

علق √‛lq – II. fermer (la porte)

قبلqblقبيلة qabīla grosse pierre qui couvre l’orifice d’une citerne

قفلqfl – II. fermer à cadenas, cadenasser – قفل qufl cadenas

قلدqldإقليدiqlīd clé

قلف qalafa calfater (un navire)

لقم laqama boucher, intercepter un passage, un canal

 

Autres formes de fermeture : le mur, la haie et la digue.

 

جدرǧdrجدار ǧidār mur, muraille, paroi

حجرḥǧrحاجر ḥāǧir mur, pan de muraille, haie, digue – حاجور ḥāǧūr digue

 

لقف laqaf parois (d’un mur, d’un bassin en maçonnerie)

 

 

C. D’après la profondeur de la gorge

 

Depuis le simple trou creusé à la surface du sol jusqu’aux plus profonds gouffres de la terre ou abîmes de la mer, en passant par la fosse, le puits et la dépression de terrain, notre corpus est riche en termes désignant des cavités creusées par la nature ou la main de l’homme. Par leurs étymons et leurs racines, ces termes se rattachent clairement à tous ceux que nous avons déjà rencontrés. Il est donc difficile de ne pas y voir des métaphores de la gorge. Qu’on en juge :

 

جحر ǧaḥr creux très profond, abîme – جحر ǧuḥr trou en terre

جربǧrbجراب ǧirāb cavité du puits, depuis l’orifice jusqu’à l’eau

جردبǧrdbجرداب ǧirdāb gouffre, abîme de la mer, des eaux

جرّǧrrجرّارة ǧarrāra terrain déprimé – جرور ǧarūr profond (puits)

جرمزǧrmzجرموز ǧurmūz puits

جفر ǧafr puits plus large vers le fond qu'en haut

جورǧwrجورة ǧūra creux, cavité, trou en terre, fosse

حجرḥǧrحاجر ḥāǧir plateau élevé et renfoncé au milieu

حشرج ḥašrağ creux dans la montage où l’eau dépose et s’épure

رجم raǧam puits ; fossé ; fosse

شرجة šarǧa creux en terre sur lequel on étend une peau pour y donner à boire à un chameau

 

عقل √‛qlمعقلة ma‛qula creux en terre, fosse où l’eau de pluie est conservée

فلق falaq Enfer, un des fossés de l’Enfer

قلبqlbقليب qalīb puits creusé mais qui n’est pas encore muré en dedans ; puits ancien

قلز qalaza faire des trous dans la terre avec le bout d’un bâton

لقيlqyملاقى malāqā orifice, trou, canal des latrines

مقل maql fond d’un puits

 

Un trou est un lieu dans lequel finissent par tomber les solides et liquides qui s’en approchent de trop près. On ne tombe plus seulement de sa propre hauteur et par suite de la perte de l’équilibre, comme nous l’avons vu au Chapitre 4, mais plus bas que soi-même, dans des fosses parfois creusées à cette intention, ou par accident. On tombe enfin, au sens figuré, dans l’anarchie, la décrépitude ou pire, dans la misère ou le malheur comme on tombe dans l’Enfer :

 

بجر buǧr malheur

بجرمbǧrmبجارم baǧārim malheurs, calamité

جربǧrbتجارب taǧārib épreuves, malheurs éprouvés

جرد √ǧrd – جارود ǧārūd malheureux, mauvais (an)

جرفǧrfجارف ǧārif malheur, calamité – جاروف ǧārūf malheureux – مجارف muǧārif malheureux, à qui rien ne réussit

عجر √‛ǧrعجاريّaǧāriyy malheurs – عجريّuǧriyy malheur

فرجfrǧ – II. tomber dans la décrépitude

مجرmǧrمجرتانِ maǧratāni les deux malheurs qui peuvent arriver et qui arrivent habituellement aux troupeaux, savoir, les maladies et les invasions nocturnes qui les dispersent

هرج haraǧa tomber dans l’anarchie, le désordre

 

حلق ḥalq malheur

قهلqhl – VII. et IX. tomber de vieillesse et d’infirmité

ملقmlq – IV. tomber dans la dernière misère

 

Dans le corps humain lui-même, il y a d’autres trous que la gorge, disons d’autres orifices notoires, et aussi quelques cavités :

 

جعر √ǧ‛r – جعراء ǧa‛rā’, جاعرة ǧā‛ira anus, canal de l'anus – جعرّى ǧi‛irrā, مجعر maǧ‛ar anus – جعرانة ǧi‛rāna œil

جفرة ǧufra cavité du ventre ; ventre

جورğwr جار ǧār parties naturelles de la femme ; cul

حجر ḥaǧr orbite de l’œil – حجر ḥiǧr giron, sein ou creux formés par les pans du vêtement relevé sur le devant – حنجر ḥanğara s’enfoncer dans son orbite (œil)

حشرجة ḥašraǧa creux, fossette

شرج šaraǧ parties naturelles de la femme – شرجيّ šarǧiyy anal

عجرمaǧram côté intérieur des fesses chez un mulet

فرج farǧ parties honteuses (tant de l’homme que de la femme, tant de devant que de derrière)

 

حلقḥlq – II. être renfoncé dans son orbite (œil)

قلت qalt creux, cavité (sous les yeux, aux tempes ou au bas du pouce)

مقلة muqla œil

 

Extension : la présence de termes désignant le sexe de la femme dans le groupe précédent explique peut-être que les items de la liste suivante puissent désigner indifféremment l’un ou l’autre sexe et même, le plus souvent, uniquement celui du mâle ou de l’homme :

 

جردان ǧurdān verge, pénis

حجر ḥaǧr, ḥiǧr parties de la génération (de l’homme ou de la femme)

عجردaǧrad verge, pénis

عجرم √‛ǧrmعجارمuǧārim verge

 

دقلdqlدوقل dawqal verge, pénis

شقلšqlشاقول šāqūl verge, pénis

قبل qubl, qubul parties naturelles (de l’homme ou de la femme)

قلد qild verge, pénis d’une bête de somme

 

NB : Il est aussi possible que, par sa forme allongée et cylindrique, la verge ait quelque rapport avec les objets vus plus haut (A) dont nous avons dit qu’ils pouvaient évoquer un long cou, ou bien, en raison de sa fonction “pénétrante”, avec les verbes signifiant pénétrer – comme دقل daqala – que nous rencontrerons plus loin (D, extension 1).

 

 

D. D’après l’obscurité de la gorge

 

C’est un aspect de la gorge que le français ignore mais dont la langue arabe témoigne dans diverses réalisations lexicales des étymons ici étudiés : la gorge est un lieu obscur où les choses avalées disparaissent. Cela donnera lieu à la métaphore de base : la caverne, la grotte où les animaux et les hommes peuvent se cacher est clairement comparée à une gorge, mais aussi le golfe entre terre et mer où les embarcations peuvent s’abriter des poursuivants et des tempêtes, et même l’épais fourré, le bois touffu où le gibier espère pouvoir échapper au chasseur. De là tout un lexique de noms désignant le rôle joué par ces lieux protégés et protecteurs où non seulement on peut se cacher soi-même mais aussi cacher ses petits et sa réserve alimentaire : refuge, abri, antre, repaire, gîte, tanière, nid...

 

جحر ǧaḥr antre – جحران ǧuḥrān repaire

جدر ǧadara se cacher entre les murailles

جرجمğrğm – II. se blottir dans son trou

جرّ ǧarr repaire, tanière

جورğwrجوار ǧuwār caverne dans la montagne

حجر ḥaǧara se cacher dans son trou (lézard) – حجر ḥuǧr trou de souris ou de serpent

حرج ḥirǧ qui entre dans son gîte (gazelle) ; épaisseur de la forêt, du bois – حرج ḥaraǧ forêt épaisse – حراج ḥirāǧ épaisseur d’une forêt, des ténèbres

رجل riǧl golfe

رجمة ruǧma repaire de l’hyène

وجر wuǧr caverne, grotte – وجار wiǧār repaire, tanière, terrier

 

خلقḫlqخليقاء ḫulayqā’ intérieur d’une caverne

لخقlḫqلخقوق luḫqūq trou dans la terre qui sert de repaire à un animal

 

Généralisation 1 : cacher et se cacher ; couvrir

 

ترج taraǧa être voilé, caché aux regards – ترج tariǧa être obscur et difficile, et comme voilé et caché (se dit d'une science)

جحر ǧaḥara se mettre à l’écart et se cacher

جفرǧfr – II. se cacher

حجرḥǧr – IV. couvrir, cacher

درمجdrmǧ – III. إدرمّجidrammaǧa et إدرنمجidranmaǧa entrer quelque part pour se cacher

سبرج sabraǧa cacher, céler ; rendre caché et obscur

عجر √‛ǧr – V. se couvrir, s’envelopper de qqch

عرج √‛عارجāriǧ caché, qui est dans un endroit où on le voit pas

 

دقل daqala se cacher, être caché

 

Généralisation 2 : se réfugier, enclos, citadelle ; garder, conserver, magasin, cellier

 

برج bariǧa avoir des provisions abondantes (DRS) – برج burǧ fort, citadelle(4)

جدرǧdrجديرة ǧadīra enclos fait de pierres pour les bestiaux

جشرğšrجاشر ğāšir garde, gardien

جورğwr جار ǧāra chercher refuge, asile – جوار ǧawār protection, patronage(5)

حجرḥǧr – VIII. se réfugier chez qqn – حجر ḥaǧr protection, tutelle – حجرة ḥuǧra enclos pour les chameaux – محجر maḥǧir, miḥǧar verger, parc

 

عقلaqala chercher refuge chez qqn – عقلaql, معقل ma‛qil asile, refuge ; forteresse, fort, citadelle

قفل qafala ramasser et serrer dans un magasin

قلدqldقلّيد qillīd magasin, cellier – مقلدة miqlada, مقلاد miqlād armoire, garde-manger

قلعة qal‛a place forte, citadelle

لقن liqn soutien, appui, protection dont on jouit

لوقlwqلاق lāqa i se réfugier auprès de qqn

 

Extension 1 : entrer pour se cacher > entrer, pénétrer ; faire entrer

 

درج daraǧa introduire, faire entrer, insérer

ردج radaǧa s’avancer, marcher pas à pas

وجر waǧara faire prendre un médicament à un malade en le lui introduisant dans la bouche

 

دعلق da‛laqa s’engager, s’avancer loin dans qqch (par ex. dans la rivière)

دقل daqala entrer dans

لقيlqy – IV. jeter dedans, injecter ou pousser dedans

 

Extension 2 : cacher qqch > cacher la vérité, mentir, tromper

 

Comme nous l’avons vu dans notre étude Le vocabulaire du mensonge et de la tromperie en arabe classique, une façon de cacher quelqu’un ou quelque chose, c’est de le couvrir, et couvrir la vérité, c’est mentir, tromper :

 

جبر √ǧbr – جبار ǧabār mensonge

جربز ǧurbuz imposteur – جربزة ǧarbaza tromperie

درجdrǧ – X. tromper qqn

رجب raǧaba calomnier

رجع raǧa‛a simuler la grossesse (se dit d’une chamelle ou d’une ânesse lorsque, pour se faire croire pleine et éloigner le mâle, elle remue la queue, serre les fesses et lâche de l’urine çà et là)

رمجrmğرامج rāmiğ oiseau que le chasseur met comme appât dans le piège destiné à prendre les oiseaux de proie

سرج saraǧa ou sariǧa mentir – سرّاج sarrāǧ menteur

شرج šaraǧa mentir, dire un tas de mensonges

عجر √‛ǧrعجريّuǧriyy menteur

فجر faǧara mentir

نرجnrǧنورج nawraǧa calomnier

 

ألقaliqa tromper, décevoir (se dit des éclairs qui ne sont pas suivis de pluie)

برقل barqala mentir

بهلقة bahlaqa mensonge

جفلقة ǧaflaqa hypocrisie

خلقḫlq – VIII. inventer qqch, forger un mensonge

سلق salaqa blesser qqn par des propos offensants ou calomnieux

عملق √‛mlqعملاقamlāq qui trompe par son extérieur élégant, séduisant

فلقان fulqān mensonge palpable, impudent

قذل qaḏala médire de qqn

قلعql‛ – قلّاع qallā‛ menteur

ملق malaq flatterie, adulation

ولق walaqa continuer à dire des mensonges 

 

 

 

Notes

 

1. Si ce mot est, comme on le pense, un emprunt au grec ἔγχελυς [égkhelus] de même sens, on voit qu’il n’a pas eu de mal à s’acclimater. On ignore l’origine du mot grec.

2. Un francophone ne manquera pas de penser au terme girafe, de l’italien giraffa, lui-même de l’arabe زرافة zarāfa, lequel est un probable emprunt à une langue africaine. Il n’empêche qu’il est curieux qu’en italien le phonème ǧ se soit substitué au z. Il est aussi possible que cette substitution se soit faite dès le passage de l’arabe classique à la variante dialectale en contact avec l’Italie, surtout s’il existait déjà, comme on le voit, un mot en جرف ǧrf- désignant un autre animal au long cou. Il est enfin également possible que cette variante dialectale ait été plus fidèle que l’arabe classique au mot africain originel.

3. Hors corpus, le mot معنّقات mu‛anniqāt, dérivé de عنقunq "cou" (étymon {q,n}), désigne des "montagnes qui s’étendent loin et forment des gorges".

4. Sur ce mot et sa racine, voir notre étude La tour et les signes du Zodiaque.

5. Noter aussi “CAN. nh. megura grange, magasin” (DRS, GWR fasc. 2, p. 109, rubr. 6).