LE SERPENT ET LE RENARD
Sur un corpus de racines dotées de l’étymon nº 86 {ṯ,‛} à l’initiale
LE CORPUS
ثعّ ṯa‛‛a vomir – VII. être jeté dehors (vomi, sang, glaires, etc.)
ثعب ṯa‛aba faire couler, verser (sang, larmes) – IV, VII, VIII couler, sortir (eau, sang, larmes) – ثعب ṯa‛b, ṯa‛ab qui coule, liquide ; pl. ثعبان ṯu‛bān torrent, eau qui coule à travers une vallée ; canal – ثعبة ṯu‛aba, ṯu‛uba espèce de lézard très venimeux – ثعبان ṯa‛bān serpent long et gros ; dragon ; anguille particulière du Nil – ثعوب ṯu‛ūb fiel
ثعثعة ṯa‛ṯa‛a efforts d’un homme qui vomit continuellement
ثعجح ṯa‛ǧaḥa – إثعنجح iṯ‛anǧaḥa tomber abondamment et sans interruption
ثعجر ṯa‛ǧara verser, répandre – مثعنجر muṯ‛anǧir qui coule à grands flots ; chargé d’ordures (cil)
ثعر ṯa‛r, ṯu‛r suc vénéneux que distille l’arbre samur
ثعط ṯa‛iṭa être gâté, corrompu (eau, viande) ; tomber en pourriture – ثعط ṯa‛aṭ viande gâtée et puante – ثعطة ṯa‛iṭa œuf pourri
ثعال ṯu‛āl insecte qui naît dans une outre à lait malpropre ; homme vil ; renard – ثعالة ṯu‛āla renard femelle
ثعلب ṯa‛lab renard – ثعلبة ṯa‛laba renard femelle
ثعامة ṯu‛āma femme de mauvaise vie
ثاع ṯā‛a u couler (eau)
عثّ ‛aṯṯa ronger, manger (se dit des teignes qui détruisent la laine, les peaux, les cuirs, qui s’y mettent) ; piquer (serpent) – عثّة ‛uṯṯa teigne ; vieille femme ; femme sotte ou dévergondée ; serpent
عثعث ‛aṯ‛aṯ mal, désordre, corruption qui se glisse dans l’État – pl. عثائث ‛aṯā’iṯ malheurs, calamités
عثيال ‛iṯyal hyène mâle
معثلب mu‛aṯlab caduc, décrépit, abîmé, qui se gâte
عثمن ‛uṯman, عثمان ‛uṯmān serpent ; petit de serpent ou de dragon. (D'où le prénom عثمان ‛uṯmān > fr. ottoman)
عيثوم ‛ayṯūm hyène
عثيان ‛iṯyān, أعثى a‛ṯā hyène mâle – عثواء ‛aṯwā’ hyène femelle, vielle femme
Que nous révèle l’examen de ce petit corpus, dont six racines sur dix-huit sont non ambigües ?
Que les séquences consonantiques ṯ‛ et ‛ṯ – autrement dit l’étymon {ṯ,‛} – entrent à l’initiale dans la composition d’un certain nombre de vocables désignant des entités peu ragoûtantes :
– des animaux comme le serpent, le lézard, l’anguille, l’hyène, le renard, la teigne ;
– divers objets venimeux, puants ou orduriers : vomi, glaires, fiel, venin, chassie, pourriture...
avec des extensions métaphoriques attendues :
– pourriture morale, décrépitude ;
– femme vieille ou dévergondée ;
– écoulement du sang et de l’eau.
Ce champ sémantique, on le voit, constitue un indéniable tout, probablement issu des onomatopées inverses de dégoût ثع *ṯa‛ ! et عث *‛aṯ ! disparues ou non attestées (pour autant que je sache) mais que l’on retrouve – comme souvent en arabe pour les onomatopées – sous des formes redoublées dans ثعثعة ṯa‛ṯa‛a et عثعث ‛aṯ‛aṯ.
Il resterait à vérifier ce qu’il en est
– des autres racines ambigües possiblement construites sur l’étymon {ṯ,‛}.
Nous avons déjà relevé
أنثع anṯa‛a vomir beaucoup, saigner abondamment du nez
نعثل na‛ṯal hyène mâle
– de la parentèle de cet étymon au sein d’une même matrice phonique.
La parenté est assez évidente au moins avec l'étymon {t,‛} à juger par
تعّ ta‛‛ vomissement
تاع tā‛a être liquide et couler – IV. vomir
ترّاع tarrā‛ qui saigne et dont on ne peut arrêter le sang (plaie, blessure)
نتع nata‛a suinter (sang, sueur, eau) - IV. continuer sans relâche (vomissements)
NB : Sur la valeur de préfixe du n initial des racines نتع nt‛ et نثع nṯ‛, voir divers travaux de A.R. Saguer, notamment
– Saguer, A. R., 2000, « L’incrémentation des préfixes dans le lexique de l’arabe. Le cas du n », Actes du colloque Journées de linguistique arabe et sémitique, Langues et littératures du monde arabe,1, p. 57-82.
– Saguer, A. R, 2002, Le phénomène de la préfixation dans les racines arabes, Faculté des Lettres et Sciences Humaines d’Agadir. (En arabe).
On notera, pour terminer, et sans s’en étonner outre mesure, que la langue arabe et la langue française (familière) ont recours l’une et l’autre à l’odeur et à l’aspect des vomissures pour désigner métaphoriquement tout ce qui est dégueulasse.
(juillet 2019)
Derniers commentaires
Bonjour et merci pour votre intérêt. La parenté est fondée sur un double rapport formel (le digramme radical {b,ẓ}) et sémantique (la sexualité).
Bonjour, si je comprends bien votre note 30, بظر pourrait être apparenté à باظ mais cela me parait un peu tordu... Ne le serait-il pas plutôt à بَظْرة, voire à بَثْرَة ?
Oui, voyez le travail de Saguer sur les préfixes n et m, dans "Le phénomène de la préfixation dans les racines arabes", Faculté des Lettres et Sciences Humaines d’Agadir. (2002, en arabe).
Merci.. Y'a t'il des articles de Bohas et suguar abderrahim concernant l'incrementation du consonne "n" et "m" dans le racine du lexique arabe ?..